Écrit par Ashif Shaikh, Jan Sahas, Inde
Certaines des informations ne seront pas aussi pertinentes pour la situation actuelle, mais nous pensons que ce guide offre des conseils utiles aux défenseur·euse·s des DSSR.
Jan Sahas participe au développement et protège les droits des populations socialement marginalisées, en particulier les filles et les femmes. Nous travaillons depuis de nombreuses années avec six partenaires et 200 organisations de la société civile (OSC) et soutenons 18 000 victimes de violences basées sur le genre (VBG) dans neuf Etats du nord de l’Inde. Pendant le confinement imposé suite au COVID-19, les VBG ont explosé tandis que l’attention de la police et des tribunaux était monopolisée par les infractions liées au COVID-19. Nous avons recensé 700 incidents en avril 2020, au lieu d’environ 400 par mois en temps normal. Non seulement ces affaires ne sont pas traitées, mais des milliers de criminels condamnés pour de tels faits sont relâchés des prisons en raison du COVID-19, à la grande détresse de leurs victimes.
L’état d’urgence impacte doublement les communautés vulnérables : leurs difficultés s’accroissent et l’aide diminue. Nous avons observé une recrudescence des VBG imputables aux tensions au sein des ménages, à des crimes opportunistes ou à des criminels relâchés, et à la multiplication des situations à risque, telles que le retour des migrant·e·s. Pendant ce temps, les forces de police et les tribunaux concentrent leur attention sur les délits liés au COVID-19, et craignent d’intervenir en raison des risques de contagion. Seule la Cour Suprême dispose d’une salle d’audience virtuelle. La police peut mettre plus d’une semaine à réagir, et souvent sans davantage de suites. Les tribunaux n’ont pas appelé de nouvelle affaire depuis deux mois. Les examens médicaux et les soins aux victimes de viol font partie des services essentiels qui ont été interrompus.
Nous travaillons avec nos OSC partenaires pour faire face à la recrudescence des VBG en cette période. Notre équipe de 700 personnes est présente nuit et jour pour répondre aux besoins. Pour soutenir également notre personnel pendant cette séquence harassante, nous avons fait appel à deux psychologues professionnel·le·s.
Tout d’abord, nous proposons un soutien psychologique par téléphone avec huit conseiller·ère·s formé·e·s à temps plein (nous en avons besoin de 28) qui prennent en charge 200 appels par jour en sessions de 30 à 60 minutes chacune.
Par ailleurs, nous déployons un soutien de terrain à travers notre réseau de 3 500 « Juristes à pieds nus » (des bénévoles formé·e·s non professionnel·le·s). Cette ressource est vitale : ils et elles parlent aux victimes, recensent les incidents, s’assurent qu’un rapport de police soit établi, préparent les dossiers juridiques et suivent les affaires. Nous assurons également les transports en cas de besoin. Nous pouvons fournir une aide alimentaire et un soutien psychologique et émotionnel en réponse aux besoins de base des victimes, qui sont souvent marginalisées et stigmatisées.
Sur un autre front, nous soutenons les innombrables travailleur·euse·s migrant·e·s (environ 280 millions) qui quittent actuellement les villes et reviennent chez elles/eux en raison du confinement. Nombre de ces migrant·e·s sont des femmes, souvent loin de chez elles et à court de nourriture ou d’autres provisions vitales, qui sont exposées aux abus sexuels, à l’exploitation et aux trafics en tout genre. La hotline que nous leur avons dédiée a déjà reçu 28 000 appels, sans compter nos 50 centres physiques d’assistance dans le pays. Nous essayons de faire en sorte que chacune puisse avoir accès à une aide où qu’elle soit.
Enfin, nous collectons des données sur l’impact du COVID-19 sur les populations vulnérables et les enjeux de Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR) dans ces domaines – notamment les travailleur·euse·s migrant·e·s, les femmes ouvrières agricoles et les VBG. Ces données serviront à notre plaidoyer politique.
Misez sur les victimes et aidez-les à développer leurs capacités. La police et le judiciaire sont dysfonctionnels, mais les groupes de victimes sont puissants et plus pérennes.
Dans notre combat pour la justice, nous avons parfois négligé les besoins émotionnels et psychologiques. Ces aspects sont très importants.
Construisez un réseau de soutien au sein des communautés locales. Lorsqu’il nous a été impossible d’envoyer des personnes extérieures au contact des communautés, les réseaux intrinsèques se sont avérés inestimables.
Les technologies numériques ont été un atout pour rester en lien et poursuivre notre travail; nous investirons davantage dans ces techniques peu onéreuses.
Ashif Shaikh et son organisation Jan Sahas militent depuis plus d’une décennie pour l’éradication des violences sexuelles envers les femmes et les enfants en Inde. Ashif est également l’organisateur du Forum National des Victimes, qui porte les revendications de justice et de réinsertion des victimes. Ashif et Jan Sahas sont particulièrement connus pour leur « Marche de la Dignité », une campagne nationale pour mettre un terme aux violences sexuelles suivie par 25 000 victimes survivantes de viol et leurs proches, parcourant 10 000 kilomètres à travers 200 districts de 24 Etats ou Unités Territoriales (UT) d’Inde.