Comment utiliser les médias pour changer les lois et politiques

Écrit par Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi

Pouvez-vous décrire un problème concret auquel votre organisation a été confrontée en la matière?

Au Malawi, l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) n’est autorisée que si la vie de la mère est en danger. Malgré cela, environ 140 000 femmes et filles ont recours à l’avortement chaque année (Guttmacher, 2015), dans des conditions à risques pour la majorité d’entre elles. La législation sur l’IVG est en cours de révision ce qui pourrait permettre d’élargir les situations dans lesquelles elle pourrait être autorisée. Les médias peuvent jouer un rôle décisif pour impulser le changement. C’est pourquoi nous avons décidé de les utiliser en première ligne pour plaider pour un assouplissement de la loi sur l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Comment avez-vous abordé et résolu ce problème?

Nous avons proposé une formation pratique à différents acteurs (chefs religieux et coutumiers, activistes féministes, professionnel·le·s de santé, etc.) pour leur apprendre à rédiger des articles sur le sujet et s’exprimer à la radio et à la télévision sur la nécessité de l’avortement sécurisé. Les participant·e·s ont ensuite travaillé à raconter leur propre histoire que nous avons mise en forme et publiée. Pour assurer une couverture médiatique suivie sur l’Interruption Volontaire de Grossesse, nous avons acheté une colonne dans le Daily Times – un journal national – où nous avons publié une chronique hebdomadaire. Il s’agissait tout d’abord d’articles sur les droits et la santé sexuels et reproductifs des jeunes et la planification familiale, puis nous avons évolué vers des articles plus directement centrés sur l’avortement. Cette approche par phases nous a permis d’éviter une réaction de rejet en bloc.

Quels résultats avez-vous obtenus et quels changements cela a-t-il entraînés?

Nous avons mesuré le changement réel de la perception de l’avortement. Notre enquête auprès des étudiant·e·s montre que 60 % d’entre eux/elles avaient changé de point de vue après avoir pris connaissance de nos contenus médiatiques. Des personnalités religieuses, auparavant détractrices, considèrent désormais l’avortement « acceptable » dans certains cas. Nous avons gagné le soutien de 40 parlementaires qui ont fait des déclarations publiques ou rédigé une lettre de soutien anonyme en faveur de la réforme législative. Aujourd’hui, le projet de loi est entre les mains des Ministères de la Justice et de la Santé qui doivent le présenter au Cabinet avant qu’il ne puisse être introduit au Parlement. Le travail est loin d’être achevé, mais nous pouvons désormais compter sur un soutien public.

Que vous a appris cette expérience?

  • Les formations médiatiques sont une solution pour combler les lacunes de connaissance sur le thème de l’avortement.
  • Il est important de donner aux opposants des informations exactes, même lorsqu’ils ne changent pas complètement d’avis.
  • Bien que nous rédigions notre colonne du Daily Times en anglais pour atteindre les décisionnaires, il est important de produire du contenu en langue locale pour s’adresser à un public plus large. 
  • Pour entretenir la dynamique, il faut aller au-delà d’un projet ponctuel et s’engager auprès des acteurs médiatiques sur le long terme pour un plaidoyer suivi.
     

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire?

  • Le récit de femmes ayant survécu à un avortement non sécurisé et racontant leur histoire est souvent décisif pour convaincre les opposants et faire tomber les obstacles.
    Choisissez une approche par phases et amenez progressivement les sujets contentieux, plutôt que de les aborder de front immédiatement.
    Impliquez différents groupes d’acteurs, pas uniquement des journalistes, pour que le plaidoyer médiatique soit porté par un large éventail de voix.
    N’oubliez pas d’impliquer les communautés qui jouent un rôle clé pour assurer la redevabilité des décideurs politiques. C’est pourquoi nous mettons de plus en plus l’accent sur le travail auprès des femmes et des filles pour amplifier leurs voix à travers des programmes radio ou télévisés.

Avez-vous des photos ou documents qui pourraient aider ou inspirer d’autres organisations ou groupes confrontés à un enjeu similaire?

  • Photo 1 : chefs religieux au cours d’une session de formation aux médias
  • Photo 2 : mobilisation de communautés rurales pour le plaidoyer en faveur de la révision de la loi sur l’avortement

Y a-t-il des ressources externes qui vous ont aidé et que vous recommanderiez à d’autres organisations ?

Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi

Brian Ligomeka, expert en communication et activiste pour les droits et la santé sexuels et reproductifs, est actuellement Conseiller en programmation pour Centre for Solutions Journalism (CSJ).

Brian a piloté la mise en œuvre de projets plaidant pour la décriminalisation de l’avortement et la promotion des droits des minorités sexuelles au Malawi. Il s’est trouvé à de nombreuses reprises face à un public hostile lors de débats sur des sujets « tabous ».

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