Comment soutenir les travailleur·euse·s du sexe en période de crise sanitaire

Écrit par Coalition Sarvojana, Inde

Ce guide a été rédigé en 2020 en réponse à la pandémie de COVID-19.

Certaines des informations ne seront pas aussi pertinentes pour la situation actuelle, mais nous pensons que ce guide offre des conseils utiles aux défenseur·euse·s des DSSR.

Pouvez-vous décrire dans quel contexte de travail vous avez développé ces connaissances?

A l’arrivée du COVID-19, le gouvernement indien a décrété le confinement total du pays. Une cartographie définissant différentes zones de couleur en fonction du niveau de risque a été publiée. Dans ce contexte, les groupes marginalisés dont les travailleur·euse·s du sexe (TS) des communautés ciblées par notre projet ont eu les plus grandes peines à accéder aux vivres et à l’aide financière. Sans « carte de famille », ces personnes n’ont pas eu droit aux rations alimentaires et médicales, même s’agissant de mères célibataires avec une famille à nourrir. Sans clients, elles ont perdu leur seule source de revenus.

Qu’avez-vous appris sur les défis qui attendent les activistes dans une telle situation?

Les communautés stigmatisées sont encore davantage diabolisées en temps de crise nationale : c’est irrationnel, mais elles deviennent un objet de crainte ou sont tenues pour responsables de la situation. Nous avons constaté une augmentation des expulsions et des violences à l’encontre des travailleur·euse·s du sexe, même s’il n’y a pas eu un seul cas de COVID-19 parmi elles. Cela s’était également produit avec la crise du VIH/Sida. Il est essentiel que le gouvernement protège les communautés marginalisées dans les situations de crise.

L’attention gouvernementale et les financements ont été presque entièrement consacrés à gérer la crise, au détriment des services essentiels comme la SSR et les soins médicaux. Nous avons donc décidé d’apporter toute l’aide pratique que nous pouvions pour répondre à ces besoins.

Comment avez-vous abordé ces défis – et avec quels résultats?

SIAAP et ses partenaires, Sangama au Karnataka et Saheli Sangh dans la ville de Pune, gèrent plusieurs projets axés sur la santé des travailleur·euse·s du sexe. Durant cette période, nous avons changé de cap pour leur apporter l’aide pratique dont ils et elles avaient désespérément besoin.

Au Tamil Nadu, prenant le relais d’une première initiative de soutien par le Réseau National des Travailleur·euse·s du Sexe (National Network of Sex Workers, NNSW), SIAAP a lancé une campagne de financement participatif pour poursuivre ce soutien par l’intermédiaire de la Fédération Vadamalar des TS. Nous avons levé suffisamment de fonds pour qu’aucun·e des bénéficiaires de notre projet ne souffre de la faim. SIAAP distribue des rations alimentaires non périssables aux TS, les met en relation avec les services du gouvernement provincial et recharge leur téléphone pour leur permettre de rester en contact et de se soutenir mutuellement.

Au Karnataka, nous avons acheté et distribué des rations non périssables et des médicaments de base dans 27 districts grâce à notre participation au Groupe d’Action COVID-19 du Karnataka, nouvellement créé par des organisations de la société civile. Sangama a distribué des rations non périssables à 4 832 TS par l’intermédiaire de l’Union des Travailleur·euse·s du Sexe du Karnataka, d’Uttar Karnataka Mahila Ookutta et d’organisations à base communautaire dans 27 districts du Karnataka. Nous avons également levé des fonds.

A travers notre projet à Pune, où nous travaillons avec plus de 2500 TS dans les bordels ou en-dehors, nous avons aidé celles et ceux qui ne pouvaient plus quitter leur lieu de travail. Saheli Sangh a apporté une aide à 1 200 travailleur·euse·s du sexe et une centaine de leurs enfants. Outre de la nourriture, nous leur avons fourni des chargeurs de téléphone portable pour qu’ils et elles puissent s’appeler et se soutenir mutuellement. Nous avons également proposé un soutien psychologique par téléphone, conscient·e·s des risques de la situation pour la santé psychologique. 

Pourriez-vous nous en dire plus sur les défis qu’ont rencontrés vos activistes dans cette situation?

Les travailleur·euse·s du sexe ont parlé de l’importance d’économiser, pour ne pas être totalement démuni·e·s dans des situations d’urgence comme celle-ci. Certain·e·s se sont également tourné·e·s vers un autre travail, comme la vente de fruits et légumes, pour compenser leurs pertes de revenus.

Quelles leçons les activistes retiennent-ils/elles de cette expérience?

Il existe une solidarité et une force vive incroyables au sein des communautés même les plus pauvres et marginalisées. Nous avons vu des TS héberger d’autres TS – de parfait·e·s inconnu·e·s – qui avaient été expulsé·e·s.

Cette crise affectera les communautés sur le long terme et doit être pleinement intégrée à nos actions de soutien. Les TS vont souffrir de la pauvreté pour diverses raisons : moins de clients suite aux pertes d’emploi, restrictions des déplacements, évictions pour loyers impayés.

La probabilité est forte que ces conditions difficiles perdurent pendant de longs mois.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire?

  • La participation de la communauté bénéficiaire est vitale en période de crise. Ces circonstances ont rappelé comment les travailleur·euse·s du sexe ont été l’un des moteurs de la prévention lors de la pandémie du VIH/Sida.
  • Adressez-vous à toutes les communautés, vous pourriez être amené·e à travailler avec des groupes sur lesquels vous n’auriez jamais parié. Nous avons vu des policiers et des TS partager du gel hydroalcoolique et s’écrire des mots de remerciement pour leur collaboration réussie !
  • Ecoutez les besoins exprimés par vos bénéficiaires. Dans notre cas, il s’agissait de produits de base comme de la nourriture et des médicaments, mais aussi de chargeurs téléphoniques pour un soutien social et la coordination de l’aide.
  • Tissez des liens avec les autorités locales et provinciales le plus en amont possible. Saisissez l’opportunité qu’offre la crise pour faire en sorte que les TS soient couvert·e·s par les programmes gouvernementaux d’aide sociale.
  • La santé psychologique mérite une attention accrue dans ces circonstances, marquées par la perte des moyens de subsistance et une incertitude pour l’avenir. Proposez un soutien psychosocial et montrez que nous ferons front tous ensembles.

Vos activistes ont-ils/elles eu recours à des ressources externes qui les ont aidé·e·s à surmonter ces défis, et que vous recommanderiez à d’autres organisations?

Nous avons pris contact avec les bailleurs prêts à financer une aide d’urgence aux communautés marginalisées. L’une de ces organisations, Mariwala Health Initiative, a financé des kits d’urgence pour 80 travailleur·euse·s du sexe.

Nous avons également lancé un appel aux dons auprès du grand public.

Enfin, nous avons collaboré et tissé des réseaux avec des organisations de femmes et des organisations professionnelles travaillant avec des secteurs non structurés.

Coalition Sarvojana, Inde

Sarvojana est une coalition de 6 OSC du Tamil Nadu, Karnataka, Andhra Pradesh et Maharastra.

South India AIDS Action Programme (SIAAP) [Programme d’action sur le Sida pour l’Inde du Sud]) dans le Tamil Nadu en est le partenaire pilote, auquel se sont alliés Sangama au Karnataka et Saheli HIV/AIDS Karyakarta Sangh à Pune, en tant que partenaires de la coalition Sarvojana.

Sarvojana cherche à améliorer la condition des travailleur·euse·s du sexe, des minorités sexuelles et des personnes vivant avec le VIH/Sida pour leur redonner une liberté de choix, afin qu’ils et elles puissent vivre sans crainte pour leur santé et leur sécurité, et exprimer leur créativité. Notre mode d’action est fondé sur l’éthique, le suivi par les communautés et des approches adaptées au contexte. A travers ces leviers, notre objectif est de générer des données, des preuves et d’influencer les lois, les politiques et les programmes.

http://siaapindia.org/

http://www.sangama.org

http://www.sahelisangh.org/