Comment se préparer au débat public et aux apparitions médiatiques lorsque l’on travaille sur des sujets sensibles

Écrit par Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi

Parlez-nous de votre organisation et de son travail.

Centre for Solutions Journalism (CSJ) est une organisation pour les droits humains basée au Malawi. Nos leviers d’action sont les médias, les communications visant à faire changer les comportements, des techniques de renforcement de capacités et l’interpellation des parties prenantes pour promouvoir l’égalité des genres, les droits et la santé sexuels et reproductifs et les droits des minorités sexuelles. CSJ soutient la réforme de la loi sur l’avortement au Malawi.

Pouvez-vous donner un exemple de circonstances où vous avez dû répondre à des questions délicates au sujet de votre travail, par exemple dans la presse ou lors d’un débat ? Comment avez-vous réagi, et avec quel résultat?

Je peux vous parler d’un exemple lors d’un point presse sur la réforme de la loi sur l’avortement.

Un journaliste m’a dit : « La Bible condamne le meurtre. Le Livre de l’Exode 20.13 dit: « Tu ne tueras point ». Pourquoi défendez-vous une loi qui encourage l’avortement – le meurtre de bébés ? »

Je l’ai remercié calmement d’avoir posé une bonne question et lui ai dit que je voudrais lui répondre dans le même contexte. Voici comment je lui ai répondu:

« Puisque vous citez les Ecritures, voici la Bible. Trouvez-moi un verset qui mentionne le mot ‘avortement’, ce sera la base de notre discussion ».

Le journaliste a tenté de contre-argumenter mais a dû reconnaître que la Bible ne contient pas le mot ‘avortement’.

Je lui ai remis un document d’analyse factuelle du Livre de l’Exode 21:22-25 qui explique pourquoi le statut du fœtus ne peut pas être considéré comme équivalent à la vie d’une femme. Ce verset fait référence à des sanctions pour avoir provoqué une fausse couche. Je lui ai également fourni les statistiques de mortalité maternelle.

Pour conclure notre échange, je lui ai rappelé que la nouvelle loi sur l’avortement a pour objectif de sauver la vie des femmes qui meurent des suites d’avortements à risques.

Qu’avez-vous appris de votre expérience?

La préparation est décisive. Il faut absolument préparer avec soin une discussion sur un sujet sensible. Vous devez anticiper les questions délicates et avoir sous la main votre contrargumentaire et les faits qui l’étayent.

Avez-vous une politique de gestion des risques ou un processus que vous suivez personnellement (ou avec d’autres collaborateur·rice·s) pour décider si vous devez ou non participer, et pour vous préparer?

Nous n’avons pas de politique de gestion des risques, mais nous nous appuyons sur notre Stratégie de gestion du mouvement anti-choix, qui sert à identifier les points de vue, les arguments et les actions de nos opposant·e·s et qui présente les grandes lignes de ce que nous pouvons y répondre.

Avant une interview, au moins deux personnes préparent des messages clé. Nous n’y allons pas pour répondre à des questions, mais pour faire passer nos messages. Pour cela, nous utilisons des “phrases de transition” pour amener nos messages, de façon à ce que la réponse à la question posée soit surtout l’occasion de donner les faits qui étayent notre position ou de contextualiser le sujet.

Voici un exemple de phrase de transition : « Avant de répondre à votre question, il est important de souligner que si la loi sur l’avortement est votée, cela sauvera la vie de 5000 femmes qui sinon mourront des suites d’un avortement à risques dans le pays. Maintenant, pour en revenir à votre question, …»

Quels sont vos premiers conseils pour assurer sa sécurité (ou celle de son personnel) lorsque l’on doit s’exprimer sur un sujet sensible ? Par exemple, faites-vous en sorte de toujours vous réunir dans un lieu public, de ne jamais donner votre numéro personnel, etc.?

  • Effectuez en amont une analyse de l’environnement et des participant·e·s, en vous renseignant entre autres sur les noms des personnes et des institutions. Par exemple, nous n’organisons pas de réunions sur les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) ou sur les questions LGBTIA dans des locaux appartenant à des institutions anti-choix ou homophobes (par exemple, des salles de conférence appartenant à l’Eglise). Dans le même ordre d’idées, si nous savons par exemple que des journalistes de la station catholique Radio Maria seront présent·e·s, nous pouvons facilement anticiper le type de questions qui seront posées, préparer les réponses à l’avance et même préparer nous-mêmes des contre-questions pour décontenancer l’interviewer.
  • Pensez à prévoir un système de soutien lors d’un événement où vous anticipez de possibles menaces. Par exemple, faites venir des allié·e·s à la réunion, demandez à un·e chauffeur·e d’être présent·e sur le lieu de l’événement et assurez-vous que quelqu’un soit en mesure de contacter la police ou d’autres activistes.
  • Mettez en place un registre des incidents pour les analyser a posteriori et vous y référer à l’avenir.
  • Mettez en place des protocoles de sécurité, que vous améliorerez au fur et à mesure. Par exemple, en ce qui nous concerne, nous avons deux adresses email, l’une pour nos partenaires et allié·e·s et l’autre pour le public.

Pour entrer dans un débat sur un sujet sensible, que faut-il absolument faire ou éviter de faire?

  • Préparez-vous, préparez-vous et re préparez-vous. Le jour J, vous devez avoir à disposition vos messages clé, une déclaration médiatique et/ou des données statistiques à l’appui. 
  • Si, pendant un débat ou une interview, une question vous est répétée ou reformulée, continuez à y répondre comme la première fois pour ne pas tomber dans le piège d’un dérapage.
  • Dans un débat en face-à-face, pensez à avoir un verre d’eau sous la main, vous pourrez boire une gorgée pour vous donner quelques instants de réflexion avant de répondre.
  • Rappelez-vous de garder votre calme, quelles que soient les questions ou déclarations provocantes que l’on peut vous adresser.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui se prépare à prendre la parole dans un environnement où l’on peut s’attendre à un haut niveau d’exposition publique?

  • Cartographiez et étudiez les positions de vos principaux critiques et détracteurs. Si vous pensez qu’ils ou elles seront présent·e·s, faites en sorte de les reconnaître.
  • Préparez votre discours d’introduction en partant des objectifs ou valeurs que vous avez en commun avec l’opposition, quitte à vous approprier leur position. Par exemple, si vous allez parler d’avortement à des dignitaires religieux, le point commun pourrait être l’idée que « la vie est sacrée ». Extrapolez à partir de là pour montrer que le caractère sacré de la vie oblige aussi à protéger la vie des femmes qui cherchent à interrompre leur grossesse.
  • Abordez le poids lourd dans la pièce avec des preuves factuelles, tout en désarmant l’hostilité – si possible – par l’humour ou l’interaction avec le public. Concevez votre discours de manière à ce que l’auditoire fasse de brefs commentaires, mais gardez le contrôle pour éviter une surdose de commentaires toxiques.
  • Préparez des phrases de fin qui délaieront les commentaires négatifs des opposant·e·s.
  • Préparez-vous à conclure par une accolade avec les principales·aux adversaires ou un appel photo avec eux.

Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi

Brian Ligomeka, expert en communication et activiste pour les droits et la santé sexuels et reproductifs, est actuellement Conseiller en programmation pour Centre for Solutions Journalism (CSJ).

Brian a piloté la mise en œuvre de projets plaidant pour la décriminalisation de l’avortement et la promotion des droits des minorités sexuelles au Malawi. Il s’est trouvé à de nombreuses reprises face à un public hostile lors de débats sur des sujets « tabous ».

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