Comment réfuter les informations erronées pendant une crise sanitaire : les conseils d’activistes en situation de handicap

Écrit par Jacob Ireri, Deaf Empowerment Society of Kenya

Ce guide a été rédigé en 2020 en réponse à la pandémie de COVID-19.

Certaines des informations ne seront pas aussi pertinentes pour la situation actuelle, mais nous pensons que ce guide offre des conseils utiles aux défenseur·euse·s des DSSR.

Quel était le contexte lorsque des mythes liés au COVID-19 ont émergé au sein des communautés de personnes en situation de handicap?

Le Kenya a enregistré son premier cas de COVID-19 le 12 mars 2020. Le nombre de cas a connu une croissance exponentielle depuis. En réponse, le gouvernement a mis en place des mesures préventives telles que la distanciation sociale, des mesures d’hygiène, la limitation des mouvements et un couvre-feu.  

Cette pandémie a mis en exergue le manque d’inclusion des personnes en situation de handicap dans la planification et la mise en œuvre des stratégies de prévention et de contrôle des maladies. Parmi les inégalités clefs, on peut citer l’absence d’informations fiables et accessibles ainsi que leur faible diffusion au sein des canaux privilégiés par les personnes en situation de handicap. Cela a eu un impact négatif direct sur leur adhésion et leur respect des mesures sanitaires.

Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face dans cette situation?

Malgré les appels répétés du gouvernement à suivre les beaucoup d’informations erronées ont circulé. Les activistes ont découvert que les sourd·e·s en recevaient également par le biais de vidéos et des réseaux sociaux.

Les mythes les plus répandus sont les suivants:

  • Il y a beaucoup de soleil en Afrique donc les africains ne seront pas contaminés par le virus
  • Boire de l’alcool peut avoir un effet protecteur
  • Il a un remède pour guérir le coronavirus.

Nous étions particulièrement inquiet·e·s de voir que de telles informations erronées circulaient car elles s’ajoutaient à l’inégalité d’accès aux informations officielles de santé publique à laquelle doivent faire face les sourd·e·s.

Les autres défis que nous devions relever étaient de s’assurer que les besoins des sourd·e·s allaient être priorisés dans le cadre de la réponse au COVID-19 et que des interprètes en langue des signes seraient déployé·e·s pour chaque communication officielle.

Comment avez-vous relevé ces défis et qu’avez-vous accompli?

Dans la mesure où la mésinformation peut coûter des vies, les activistes sourd·e·s de plusieurs organisations ont joint leurs efforts afin de créer et diffuser des informations fiables et correctes sur le COVID-19 en langue des signes kenyane.

Avec d’autres activistes, nous avons appuyé Light for the World, une organisation de développement international travaillant sur le handicap, pour la production d’une vidéo appelée « MythBusters » visant à faire réfuter les mythes et fausses informations les plus partagées au sein des communautés sourdes sur le COVID-19.

J’ai notamment pu partager des exemples de mythes et des conseils sur comment s’assurer que la vidéo serait accessible. Par exemple, en se concentrant sur un nombre de messages limité et faciles à comprendre, en veillant à ce que cela soit visuellement parlant et en ayant recours à un·e interprète qui soit il·elle-même sourd·e.

Les organisations ayant contribué à l’élaboration de la vidéo ont, d’un commun accord, décidé de ne pas inclure leur logo afin que le contenu ne puisse pas être pris pour de la publicité et que cela n’interfère pas avec ce qui comptait le plus : le message.

Comme être un membre de la communauté sourd·e me permet d’atteindre un grand nombre de personnes, y compris d’autres activistes, j’ai également participé à la diffusion de la vidéo. Et ce, principalement à travers des groupes WhatsApp de personnes sourdes et malentendantes. En tant qu’activiste reconnu, le contenu que je partage est considéré comme fiable et digne de confiance.

Cela permet de créer un effet boule de neige, notamment au sein des groupes WhatsApp. Ce fut le cas dans celui composé de bénéficiaires d’AmplifyChange travaillant sur le handicap ou encore dans celui facilité par DESK dont est membre l’honorable Isaac Mwaura, le sénateur kényan représentant les personnes en situation de handicap.

J’ai également organisé une session de questions-réponses sur la vidéo et les mythes afin de pouvoir en réfuter d’autres et de convaincre celles et ceux qui n’étaient pas convaincu·e·s.

Par conséquent, les fausses informations et les remèdes non scientifiquement fondés ont été remis en cause ce qui a réduit les risques de confusion et de manipulation des communautés sourd·e·s.

En tant qu’activiste, qu’avez-vous appris de cette expérience?

  • Si les personnes en situation de handicap, et les populations marginalisées de manière générales, n’ont pas un accès équitable aux informations et services liés à la santé, cela peut les mettre en danger tout comme le reste de la population. Ces inégalités sont particulièrement saillantes lorsqu’une crise sanitaire comme celle du COVID-19 survient.
  • Être une organisation représentative de la population pour laquelle elle agit (dans mon cas les organisations de personnes en situation de handicap) donne un avantage comparatif certain pour identifier et analyser le contenu partagé au sein des communautés ainsi que pour conseiller d’autres organisations sur les formats, contenus et canaux de diffusion les plus adaptés. Dans notre cas, c’une organisation internationale reconnue pour son expertise en matière de handicap qui s’est tournée vers DESK pour demander conseil.
  • Comme il fallait être réactif·ve·s et que le temps jouait contre nous, nous avons souhaité tout réaliser rapidement : les partenariats, le contenu et le tournage. Si nous devions le refaire, nous accorderions une importance plus grande à la création des messages accompagnant le lien de la vidéo afin de clairement signifier aux destinataires qu’il s’agissait d’informations fiables.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire?

  • Devenez vous-même « expert·e » : en tant qu’activiste, les institutions gouvernementales, les organisations de la société civile et les communautés se tourneront certainement vers vous pour obtenir des informations. Vous avez un rôle clef à jouer pour réfuter les mythes et lutter contre la mésinformation à votre manière et dans votre langue. Vous devez donc vous (in)former et apprendre toutes les informations de base (nom du virus, origine, modes de transmission, mesures de prévention, etc.) auprès de sources fiables comme l’OMS.
  • Soyez proactif·ve afin de venir en complément des interventions gouvernementales, en particulier en vous servant de votre expertise et insertion dans les communautés. Cela leur permettra d’avoir rapidement accès aux bonnes informations dans des formats accessibles et ce, que ce soit pour les personnes en situation de handicap ou d’autres populations marginalisées.
  • Servez-vous de votre statut : utilisez votre leadership et insertion dans les communautés comme un levier pour diffuser des informations fiables qui seront vues comme telles par les membres – et non ou peu remises en question.
  • Pensez à « l’emballage », c’est-à-dire à ce qui entoure le contenu que vous partagez, et notamment le message. Même si cela est souvent difficile à faire lors d’une crise sanitaire où le temps est compté, cela en vaut la peine car c’est l’un des meilleurs moyens pour convaincre les destinataires qu’il s’agit d’informations officielles et fiables.

Jacob Ireri, Deaf Empowerment Society of Kenya

Jacob Ireri est un jeune activiste sourd kenyan. Il possède dix ans d’expérience dans les domaines du handicap, des droits et de la santé sexuels et reproductifs et du contrôle et de la prévention des maladies. Il a commencé sa carrière avec USAID où il a joué un rôle clef dans la prise en compte et l’intégration systématique du handicap. En 2013, il a cofondé Deaf Empowerment Society of Kenya (DESK) pour amplifier les voix de celles et ceux souvent réduit·e·s au silence. DESK a été reconnu pour son caractère innovant par Aid and Development en 2018 et Jacob a été demi-finaliste du Grinnel pour la Justice Sociale en 2019.   

www.deskkenya.org