Comment recueillir des fonds grâce aux dons communautaires

Écrit par Irène Capet, Directrice Exécutive, l’ONG Sainte Philomène, l’Espérance (OSPE), Côte d’Ivoire

Pouvez-vous décrire la situation de collecte de fonds à laquelle votre organisation a été confrontée?

Le Tonkpi est une région avec un taux élevé de VIH avec de nombreux orphelins et autres enfants vulnérables (OEV), dont certains sont séropositifs ; c’est également une zone à haute prévalence de MGF/E. NGO Sainte Philomène, l’Espérance (OSPE) fonctionne dans ce milieux complexe avec l’appui d’un centre social dont nous dépendons en plateforme et avec des parents d’OEV que nous avions organisé en associations.

L’OSPE reçoit des subventions pour financer certaines de ses activités mais nous avons envie et besoin d’apporter plus de soutien aux communautés avec lesquelles nous travaillons. Alors afin de mener à bien tout nos projets, nous nous tournons aux dons communautaires.

Pourquoi avez-vous décidé de recueillir des fonds par le biais de dons communautaires et comment vous y êtes-vous pris?

Par exemple, lors de la mise en œuvre de notre premier projet avec Amplifychange sur la prévention des grossesses non désirées et la sensibilisation à la documentation des soins post-abortifs, nous cherchions aussi des ressources pour faire face aux besoins des OEV (frais de cantines, arbre de Noël à organiser etc.). Nous avions l’habitude de préparer des activités socio-éducatives les jours avant la fête de Noël pour les enfants car la prise en charge psychosociale est l’une de nos stratégies de lutte contre la stigmatisation et le manque d’activités et de festivités aurait non seulement déçus les enfants mais ça aurait posé également le problème de non-satisfaction d’un de leurs besoins.

Face à cette situation, nous nous sommes tournés vers les parents des OEV que nous avions organisé en associations, et qui avaient auparavant reçu un appui en activité génératrice de revenu (AGR), pour leur expliquer la situation : nous n’avions que le financement pour notre travail de sensibilisation à l’avortement alors que nous devions offrir la cantine aux enfants et leur préparer les activités liées aux festivités de Noël.

Qu’avez-vous accompli?

Nous avons convoqué l’association des parents à une réunion pour exposer la situation, avec la présidente centrale et les présidents des autres quartiers et communautés villageoises. Ils ont alors décidé de contribuer soit en vivres (légumes, riz et autres aliments) soit par une cotisation.

Grâce aux jardins potagers et plantations communs, les parents ont alimenté les cantines scolaires, de sorte à faire bénéficier aussi bien les OEV qu’à d’autres enfants vulnérables des écoles que fréquentaient ces OEV et qui restaient à l’école les midis, de janvier à mars.

Les cotisations nous ont permis d’organiser l’arbre de Noël. Chose intéressante, c’est que les habitants du village qui a accueilli l’arbre de Noël ont également contribué à l’organisation de la fête !

Nous avons par la même occasion bénéficiée de l’appui de la division de l’information publique (PIO) des Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) dont la responsable qui visitait souvent le Centre de transit avait été informée de la situation ; elle nous a également mobilisé les fonds auprès de tous les services de l’ONUCI, pour l’achat des jouets, afin d’organiser l’arbre de Noël. Finalement, pour les activités de Noël, l’ONG n’a eu qu’à acheter quelques emballages pour couvrir quelques jouets pour les cent enfants défavorisés.

Les dons ou les levées de fonds nous sont bien sûr adressés mais la gestion en est commune. Au niveau de chaque groupe de quartiers ou de villages, une trésorière et son adjointe sont désignés ou élues selon les cas ; les fonds collectés à travers leurs cotisations ou activités agropastorales ou commerciales sont gérés par eux et consignés dans leurs cahiers de trésorerie suivi par un de nos agents dans le quartier ou le village. De notre côté, les dons communautaires que nous recevons sont notés dans le cahier de gestion des vivres et non vivres.

Qu’avez-vous appris de cette expérience?

Nous avons appris qu’une organisation qui intervient dans une communauté spécifique ne peut pas réussir à elle seule si elle n’implique pas ni n’associe les membres de cette communauté et si de l’autre côté, elle n’est pas acceptée par cette communauté ; ce, en s’appuyant sur une stratégie bien définie pour mobiliser par exemple, des ressources.

Quels sont vos conseils pour quelqu’un qui fait face aux mêmes problèmes ou à des problèmes similaires et qui veut commencer à recueillir des fonds en recueillant des dons communautaires? 

  • Dès le départ de votre projet, bien expliquer vos objectifs, les attentes afin de mobiliser le plus de leaders communautaires et acteurs clés autour de l’organisation ; une fois que ceux-ci auront bien compris ce que vous attendez d’eux, vous obtiendrez l’adhésion et le soutien des communautés (groupements de femmes, mouvements de jeunes, guides religieux etc.)
  • La redevabilité est importante. Informez les communautés régulièrement des avancées et des nouveaux enjeux de financement à travers des réunions régulières afin qu’ils puissent vous aider à y faire face.

Il faut noter que:

  • Nous avons développé dès le départ avec les parents et tuteurs une stratégie de levée de fonds (épargne et crédit), soutenu par Care International, qui devaient les aider à faire face aux besoins des enfants en cas de rupture de financement. Ainsi, en encourageant cette pratique, nous avons instauré la solidarité et la cohésion dans les communautés dans lesquelles nous intervenons et surtout vis-à-vis de notre organisation.
  • L’OSPE est composée de bénévoles et de salariés, que nous employons dans le cadre de projets et de subventions. Lors des périodes creuses dans les cycles de financements la plupart de nos salariés restent malgré l’absence de fonds. En effet, nous avons sensibilisé tous ceux qui travaillent avec nous (personnel comme bénévoles), à s’approprier l’organisation comme si c’était la leur ; alors, faut-il laisser le bateau couler ? Non, au constat que nous faisons, les agents restent mais travaillent quand ils le peuvent et à des horaires flexibles. De plus, nous travaillons avec une majorité de bénévoles, issus des communautés et désignés par leurs chefs (de villages ou de communautés) pour travailler avec nous. Ces bénévoles retournent à leurs occupations mais restent en contact avec nous et continuent de faire le monitoring des cas de violence, sensibilisant leurs communautés quand il le faut surtout lorsqu’il s’agit de cas de VBG. Ils nous font appel ou font la référence aux Centres sociaux ou aux autres ONG de la plateforme.

Irène Capet, Directrice Exécutive, l’ONG Sainte Philomène, l’Espérance (OSPE), Côte d’Ivoire

Née à Port-Bouët (Côte d’Ivoire), Irène CAPET a fondé et géré l’ONG Sainte Philomène, l’Espérance (OSPE) avant d’en devenir depuis décembre 2020 la Directrice Exécutive de l’organisation, qui est maintenant gérée par un conseil d’administration.

Irène a dirigé pendant plus de 10 ans la Caritas de Man en Côte d’Ivoire mais a débuté sa carrière en tant qu’enseignante (professeur de français, du 1er et 2nd cycle), ce qui lui a permis d’être Formatrice nationale en Clarification des Valeurs et Transformation des Attitudes face à l’avortement (CVTA), Système de gestion de l’information sur la violence sexiste (GBVIMS) en cohésion sociale et en prévention et prise en charge du VIH communautaire.

Son travail a été reconnu à l’échelle régionale et nationale, et elle a notamment été distinguée parmi les 100 femmes ivoiriennes engagées dans la lutte contre les Mutilations Génitales Féminines (MGF/VBG) et attribuée le prix national « Femme Leadeurs 2013 » dans la catégorie Paix et Réconciliation, par la Coalition Nationale des Femmes Leaders de Côte d’Ivoire (CNFLCI).

www.ospe225.com et https://www.facebook.com/ospe225