Comment poursuivre votre mouvement dans un environnement politique difficile

Écrit par Isabella Muthoni, Equality Now

Pourriez-vous décrire une situation dans laquelle votre organisation ou votre projet a dû composer avec des obstacles politiques qui risquaient de mettre en péril votre objectif commun ?

Equality Now se sert de la loi pour venir à bout des discriminations envers les femmes et les filles. L’un de nos domaines thématiques consiste à mettre un terme aux pratiques nocives de mutilations génitales féminines/excision (MGF/E) et aux mariages d’enfants, qui sont contraires au droit des filles à accéder à l’éducation. Or, un changement de régime dans l’un de nos pays d’intervention a eu pour conséquence de durcir considérablement l’environnement de travail pour les organisations axées sur la justice sociale et les droits humains. Les organisations qui parlent de droits et libertés se sont heurtées à une forte résistance du régime. Le gouvernement a menacé de dissoudre ou d’interdire la possibilité de débat à celles qui travaillent sur des enjeux qu’il considère sensibles. En outre, les activistes qui cherchent à se réunir pour contester ces restrictions risquent l’arrestation. Nos partenaires savent également que leurs communications sont surveillées ou interceptées.

Comment avez-vous abordé ce problème et qu’avez-vous changé ?

Pour faire face à ce défi particulier, nous avons dû trouver des solutions alternatives pour continuer à déployer nos activités et répondre aux besoins des femmes et des filles dont les droits étaient piétinés. Comme nous sommes une organisation régionale, nous avons délocalisé nos conventions dans un pays voisin où il est possible de tenir sans risques une réunion sur l’élimination des discriminations envers les femmes et les filles. Nous avons utilisé nos plateformes en ligne pour publier des messages opposés aux mesures d’oppression imposées par le gouvernement, et nous avons mobilisé les organes régionaux pour qu’ils condamnent la tournure liberticide que prenait le nouveau régime.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Nous avons obtenu le résultat immédiat que nous visions, à savoir rassembler les acteur·trice·s pour contester les lois et ordonnances liberticides qui aggravent la situation des filles, et appeler à prendre des mesures significatives à l’encontre des auteurs de violences sexuelles. Nous sommes également parvenu·e·s à rendre plus audible auprès du gouvernement, de la population et de l’opinion internationale notre message sur le fait que les actes d’oppression envers les femmes et les filles sont inacceptables.

Que retenez-vous de cette expérience ?

Cette expérience nous a montré qu’il existe d’autres façons de s’organiser et de faire campagne contre des lois et politiques injustes, en particulier dans un environnement restrictif. Nous avons dû prioriser la sécurité des organisations et des militant·e·s pour les droits humains, sans pour autant être réduit·e·s au silence sur le sort critique des femmes et des filles. Nous avons découvert à quel point il est important de s’associer à d’autres acteur·trice·s et parties prenantes qui travaillent dans le même sens, de collaborer et de mettre en commun les expertises pour explorer d’autres façons de plaider pour le changement.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire ?

  1. Mettez à profit vos réseaux et le soutien d’autres organisations qui travaillent sur les mêmes enjeux et peuvent amplifier vos appels à une réforme.
  2. Les organisations (individuellement ou sous forme de coalition) peuvent écrire aux acteur·trice·s qui collaborent avec leur gouvernement au sein de différents projets de développement, tels que des gouvernements partenaires bilatéraux ou la Banque Mondiale. Cela a fonctionné en Tanzanie, où la Banque Mondiale a suspendu un prêt de 300 millions de dollars pour l’éducation jusqu’à ce que le gouvernement prouve son engagement concret pour l’éducation des filles.
  3. Informez toujours vos bailleurs des difficultés qui font suite à un changement dans votre environnement de travail et qui affectent le déploiement de vos activités.

Isabella Muthoni, Equality Now

Isabella Muthoni est Chargée de subventions chez Equality Now, où elle a pour mission de superviser et améliorer la gestion des subventions et les process. En étroite collaboration avec les équipes Opérations, Communication et Finances, elle travaille au respect des exigences des bailleurs, à la ponctualité et qualité du reporting, à l’élaboration de propositions de projets et au développement des budgets. Son expérience concerne tant la gestion de projet et l’élaboration de propositions de qualité que la levée de fonds et la diversification des sources de financement de l’organisation. Avocate à la Haute Cour du Kenya, Isabella est également une juriste féministe et activiste des droits des femmes et de l’égalité des sexes.

www.equalitynow.org