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Comment organiser un dialogue intergénérationnel pour faire évoluer les normes sociales
Écrit par Chioma Ike, Circuit Pointe, Nigéria
Pouvez-vous décrire un problème concret auquel votre organisation a été confrontée en lien avec l’objet de ce Guide?
Notre premier projet était une campagne contre les Mutilations Génitales Féminines (MGF) dans quatre communautés rurales. Au lancement du projet, nous avons réalisé un état des lieux : 80 % des personnes ayant répondu à l’enquête étaient des femmes, à notre grande joie puisque c’est précisément ce groupe cible que nous visions, en tant que premières victimes des mutilations infantiles. Pourtant, 60 % de nos questions sur les MGF/E sont restées sans réponse. Vers la moitié du projet, nous avons constaté que les jeunes et les adultes se ralliaient à nos campagnes, mais que les générations plus âgées (grands-parents) restaient en retrait. En intensifiant nos activités, nous avons observé qu’au lieu d’un abandon des MGF/E, émergeait une tendance à pratiquer d’autres formes de MGF infantiles, notamment de Type IV. Nous nous sommes retrouvé·e·s face à un fossé dans la communication intergénérationnelle.
Comment avez-vous abordé et résolu ce problème ?
Nous avons mis en place une approche en trois étapes :
- Une compréhension approfondie de la communauté : nous avons organisé des groupes de parole thématiques, dont les participant·e·s étaient réuni·e·s par génération et par sexe (en distinguant les jeunes, les aîné·e·s, les hommes et les femmes). C’est une approche que nous avons choisie pour établir la confiance, collecter des informations sur les connaissances de chacun·e, les attitudes et les pratiques en matière de MGF/E, et pour convaincre davantage de membres de la communauté de participer à des forums de discussion sur la question des MGF/E.
- Le dialogue intergénérationnel : nous l’avons d’abord testé à petite échelle, à travers des activités de projet réunissant des personnes des deux sexes et de différentes générations, par exemple des ateliers de plaidoyer et réunions d’orientation. Puis, fort·e·s des leçons apprises, nous avons changé d’échelle en organisant un forum public (Assemblée Populaire) pour que la jeune génération puisse interagir avec les aîné·e·s. Notre équipe a fait en sorte de « briser la glace » pour mettre les participant·e·s à l’aise, instiller une ambiance détendue et effacer les barrières et hiérarchies habituelles au sein de la communauté. Avant cela, les MGF étaient très peu discutées au sein des familles et encore moins parmi les membres de la communauté. Aussi l’exercice a-t-il demandé un haut degré de sensibilité culturelle, verbale et non verbale. Nous y sommes parvenu·e·s par différents stratagèmes, par exemple en offrant des noix de cola, très recherchées, aux anciens ; en serrant la main des chefs à deux mains et en utilisant des proverbes et dictons locaux pour démontrer notre appréciation de la tradition et en signe de compréhension de la culture. Ainsi, les aîné·e·s, qui se sont senti·e·s traité·e·s avec respect et considération, se sont en partie libéré·e·s de leur appréhension et ont accepté d’engager le dialogue.
Après cela, notre équipe a animé des sessions de débriefing interactives qui ont amené les gens à réfléchir aux MGF/E, tandis que les femmes ayant subi ces pratiques dans leur enfance ont pu partager leur expérience avec les plus âgé·e·s et les fervent·e·s partisan·e·s de cette tradition, en portant le débat sur les questions de genre et de droits humains. Après avoir découvert les conséquences nocives de cette pratique, et au fur et à mesure de la réflexion, la plupart des aîné·e·s ont été confronté·e·s à un douloureux dilemme et certain·e·s ont admis qu’ils/elles préfèreraient figurer parmi les porteur·se·s de changement en la matière. Au final, toutes les générations sont tombées d’accord pour appeler à mettre un terme à la pratique au regard des conséquences dont ils/elles avaient pris conscience. Les participant·e·s ont aussi collectivement décidé de comment agir pour remettre en question cette tradition autrefois respectée.
- Suivi : Nous avons repris contact avec les membres de la communauté plusieurs mois après leur participation au dialogue intergénérationnel, et avons soigneusement conservés les récits de changement positif et de résultats inattendus, qui sont devenus les moteurs de nos projets ultérieurs.
Quels résultats avez-vous obtenus et quels changements avez-vous constatés?
Le dialogue intergénérationnel a transformé la façon dont les membres de la communauté interagissent, en particulier entre les aîné·e·s (génération des grands-parents) et les jeunes. Lors de l’Assemblée Populaire, les hommes, les femmes, les filles et les garçons ont réfléchi à l’intérêt des MGF/E infantiles, évalué les justifications de cette pratique et partagé leur opinion sur cette tradition aves les gardien·ne·s de leur culture, dont le Chef traditionnel. Nous avons observé une communication effective basée sur l’écoute active et le dialogue. Cela a accéléré la décision de la communauté de renoncer à toute forme de MGF/E.
Qu’avez-vous appris de cette expérience?
- Le pouvoir de la communication : en organisant une activité à l’échelle de la communauté, telle que l’Assemblée Populaire, où toutes et tous se sont retrouvé·e·s dans un dialogue intergénérationnel, nous avons pu :
- Transformer les relations entre les membres de la communauté
- Ouvrir la voie à des concepts nouveaux
- Créer un espace pour le débat d’idées, la pensée critique et le développement de relations sociales porteuses de sens.
- Le pouvoir du récit : les expériences vécues partagées par les membres de la communauté ont rendu le sujet « vivant » et mis en évidence le lien entre certains problèmes de santé et les MGF/E. Ceci a joué un rôle déterminant pour l’abandon de cette pratique. Ces récits ont contribué à faire évoluer les attitudes et perceptions des celles et ceux qui les ont écoutés à l’égard des MGF/E. Ils ont fait naître une motivation suffisamment forte pour trouver un consensus autour d’une action collective, telle qu’une déclaration publique ou l’adoption d’une règle/sanction locale.
- Le pouvoir des relations : le dialogue entre générations a renforcé les relations entre les groupes d’âge et de genre, et créé une synergie entre la sagesse des ancien·ne·s et l’énergie des jeunes.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire?
- Jouez avec finesse votre rôle de facilitation du dialogue : conduisez le dialogue dans la langue locale de votre population. Cela donne un ton positif et encourage une participation active. Choisissez un message de campagne qui résonne avec le quotidien de la communauté et faites avancer les débats en encourageant des habitant·e·s à partager leur vécu. Soyez prêt·e à répondre aux questions et encouragez le partage de connaissances par les interactions de groupe.
- Construisez des réseaux et alliances : le processus de transformation des normes sociales s’auto-alimente grâce à la présence d’influenceur·se·s clés ou de non-conformistes progressistes. Après avoir organisé un dialogue intergénérationnel, identifiez des structures de soutien au sein de la communauté, cartographiez vos allié·e·s potentiel·le·s et construisez/renforcez leur capacité à entretenir le changement social depuis l’intérieur.
Autres ressources
Résumé du Guide Pratique: Qu’allez-vous trouver dans ce Guide Pratique et pourquoi est-ce important.
Vous découvrirez:
- Comment le fait de travailler avec toutes les générations, séparément ou ensemble, peut avoir un impact massif sur le changement des normes sociales
- L’importance décisive d’un·e bon·ne facilitateur·rice pour créer un espace de discussion sûr et ouvert, propice au partage d’expériences vécues dans la confiance mutuelle.
- L’importance de tisser des relations avec de nombreux groupes différents.
Chioma Ike, Circuit Pointe, Nigéria
Chioma Ike est une visionnaire et militante pour les droits des femmes et des filles. Elle est Directrice Exécutive de Circuit Pointe, une ONG active du mouvement en faveur de l’émancipation et des droits des femmes et des filles au Nigéria. Titulaire d’un diplôme en Gestion de Projet et Lauréate du Prix Anita Borg 2018, elle suit actuellement à distance une Maîtrise en Administration des Affaires option Action Internationale, avec une spécialité en Droits et Santé Sexuels et Reproductifs.
www.circuitpointe.com