Écrit par Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi
Au Malawi, où l’avortement est limité à des situations très restrictives, le CSJ et d’autres organisations militent pour une réforme législative. Le CSJ agit par le biais des médias en produisant des contenus (articles, vidéos et témoignages) pour la télévision, la radio, la presse écrite (journaux et magazines) et les plateformes numériques. Les médias sont précieux pour amplifier le message que nous voulons faire passer.
Nous proposons aux journalistes des formations spécialisées sur comment couvrir les questions liées aux DSSR et aux droits des LGBTI afin qu’ils et elles sachent comment les traiter sous un angle positif. Nous travaillons également localement avec des communautés : nous proposons une éducation civique autour des questions liées aux DSSR, et formons au plaidoyer les personnes prêtes à s’engager. Enfin, nous collaborons avec le gouvernement en plaidant pour une réforme législative favorable aux DSSR.
Pour mesurer l’impact de nos contenus médiatiques sur nos publics cibles, par exemple en termes de changement des comportements, nous réalisons une enquête comparative avant/après. Nous sélectionnons un échantillon parmi notre public cible auquel nous proposons un questionnaire qui nous permet d’évaluer l’état de leurs connaissances et opinions sur les enjeux liés aux DSSR. Puis nous invitons ces personnes à visionner nos programmes télévisés ou à lire nos chroniques publiées dans la presse ou en ligne.
Après trois à six mois, suivant le calendrier que nous nous sommes fixé, nous revenons vers les membres de notre échantillon et leur soumettons de nouveau le même questionnaire. Ainsi, nous pouvons évaluer si nos contenus médiatiques ont eu un impact sur leurs positions et connaissances vis-à-vis des enjeux liés aux DSSR. Il arrive que certain·e·s changent de comportements. Dans notre enquête ex ante, un participant, par exemple, a indiqué que l’avortement ne devrait pas être élargi. Six mois plus tard, en répondant au même questionnaire et après avoir visionné nos programmes télévisés, il avait changé de position. Sa nouvelle réponse était que « le gouvernement devrait légaliser l’avortement sécurisé pour sauver des vies de femmes ».
Sur 60 chefs religieux et coutumiers à qui nous avons proposé une formation sur l’intersection entre la religion et les droits et la santé sexuels et reproductifs, 42 sont désormais favorables à une réforme de la loi sur l’avortement. Certains ont publié des articles de presse, et d’autres ont exprimé leur soutien à la cause à la télévision nationale. C’est grâce à notre engagement auprès de parties prenantes stratégiques que nous avons pu amener des chefs religieux initialement hostiles à la réforme à faire volte-face et à se rallier à notre cause.
Quant à l’impact de nos contenus médiatiques, nous avons sélectionné aléatoirement 20 étudiant·e·s. Après une évaluation initiale (via un questionnaire) de leur position sur la question, nous leur avons fourni 32 articles abordant les droits et la santé sexuels et reproductifs sous un éclairage positif. L’objectif de l’enquête était d’évaluer si des textes sur l’avortement rédigés par des professionnel·le·s pouvaient influer sur les connaissances et attitudes des étudiant·e·s en matière d’avortement. Nous voulions également savoir si des contenus médiatiques positifs pouvaient générer un soutien plus fort à l’adoption d’une législation favorable à l’avortement sécurisé.
La seconde phase de l’enquête a révélé un changement d’attitude progressiste chez seize de ces étudiant·e·s. Nous avons alors organisé un groupe de discussion. Certain·e·s de celles et ceux nouvellement acquis à la cause de la liberté de choix ont été convaincu·e·s par le fait que la possibilité d’avorter légalement au Malawi réduirait la mortalité maternelle : les avortements à risques y contribuent en effet notablement.
Nous avons également des méthodologies permettant d’identifier les réussites, les points forts et les lacunes des formations que nous proposons aux médias.
L’une de ces méthodes consiste à collecter et analyser les articles rédigés par les journalistes que nous avons formé·e·s, avant et après la formation. Nous réalisons ce suivi sur une période de trois à six mois. Les articles collectés sont classés sous les catégories « positifs », « négatifs » ou « incomplets ». Ainsi, nous pouvons suivre le « cheminement professionnel » de ces journalistes dans la couverture des questions liées à l’avortement et aux DSSR. Ce suivi nous permet d’évaluer non seulement la qualité, mais aussi l’aspect quantitatif de l’attention accordée à ces questions.
Dans la plupart des cas, nous observons qu’après la formation les intéressé·e·s commencent à publier et diffuser des contenus positifs. Nous y voyons le signe que la formation a eu l’effet escompté. En revanche, si nous constatons que les participant·e·s continuent à publier des articles négatifs ou incomplets, nous savons que notre formation était mal calibrée. Nous nous attelons à reprendre son contenu, les supports de présentation et les formulaires d’évaluation finale afin d’identifier les points à corriger.
Nous avons défini trois catégories :
La couverture est positive si l’article:
Nous considérons que la couverture est négative si l’article:
La couverture est incomplète si l’article:
Nous avons découvert l’impact réel de notre travail et avons appris à ajuster nos efforts pour le maximiser. Par exemple, nous avons appris à utiliser, pour chaque public cible, le produit médiatique le plus couramment consommé. Pour atteindre celles et ceux qui peuvent faire changer la législation, le plus efficace est de mettre à profit les journaux et la télévision nationale. La plupart des hommes et femmes politiques lisent les journaux le matin et regardent la télévision le soir. Les jeunes, en revanche, s’informent surtout entre eux et sur les réseaux sociaux.
Le meilleur moyen de s’adresser aux populations rurales au Malawi reste la radio. Il est essentiel de diffuser dans les langues locales. La plupart de nos contenus étaient initialement produits en anglais. Puis nous avons constaté que si nous voulions toucher les communautés rurales, nous ne pourrions pas faire l’économie des langues locales. Nous nous sommes adapté·e·s en conséquence.
Lors des discussions en groupe thématique, nous avons appris que pour parler d’avortement dans une société aussi conservatrice que celle du Malawi, mieux vaut privilégier une approche progressive. Nous avons envisagé les DSSR comme un enjeu d’ensemble que nous avons abordé successivement sous l’angle des grossesses non désirées à l’adolescence, puis du manque de moyens de contraception et des cas où ils ne fonctionnent pas, de l’avortement à risque ou sécurisé, des soins post-avortement et de la nécessité d’une réforme législative. Cette gradation a permis à de nombreux acteurs stratégiques, dont des chefs religieux et coutumiers, de comprendre les liens sous-jacents à ces différentes questions.
Nous demandons à nos destinataires au sens large de nous donner un avis sur nos contenus. Ces retours, qu’ils soient positifs, neutres ou négatifs, nous aident à mesurer la réussite de nos projets médiatiques visant à agir sur les attitudes. C’est également un bon moyen de mieux connaître notre public au fur et à mesure que notre plaidoyer progresse.
Brian Ligomeka, expert en communication et activiste pour les droits et la santé sexuels et reproductifs, est actuellement Conseiller en programmation pour Centre for Solutions Journalism (CSJ).
Brian a piloté la mise en œuvre de projets plaidant pour la décriminalisation de l’avortement et la promotion des droits des minorités sexuelles au Malawi. Il s’est trouvé à de nombreuses reprises face à un public hostile lors de débats sur des sujets « tabous ».
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