Comment lever des fonds grâce à une entreprise sociale

Écrit par Tawina Jane Kopa-Kamanga, TAWINA, Malawi

Pouvez-vous décrire dans quelle situation votre organisation a eu besoin de lever des fonds?

Nous avons lancé notre entreprise sociale en réponse aux besoins des bénéficiaires de nos projets sur les DSSR, et aux problèmes que nous rencontrions lors de la mise en œuvre : nous avons eu besoin d’une source de revenus qui ne soit pas limitée. Nous avions déjà acquis des compétences agricoles grâce à l’un de nos programmes de plantation de soja et d’élevage porcin, financé par une subvention. Nous y avons vu l’opportunité de tirer parti de ces compétences pour lancer une entreprise sociale agricole.

* Nous rappelons que les communautés qui envisagent de monter une entreprise sociale agricole peuvent privilégier un autre animal d’élevage, ou s’intéresser seulement au maraîchage.

Pourquoi avez-vous fait le choix de l’entreprise sociale pour lever des fonds, et comment vous y êtes-vous prises?

Au départ, notre stratégie de levée de fonds consistait à accroître nos ressources issues de subventions ou de dons, et cela a fonctionné. Mais au fur et à mesure que nos programmes évoluaient et que nos bénéficiaires se diversifiaient, les subventions ne suffisaient plus à couvrir nos besoins. Dans certaines situations, nous avions besoin de ressources pour agir immédiatement afin de mettre des filles hors de danger, ou pour financer une procédure judiciaire. Ceci nous a incitées à diversifier notre portefeuille de financement.

Nous avons donc imaginé de lancer une entreprise sociale. Grâce aux compétences que nous avions déjà dans l’élevage, la culture du soja et le maraîchage biologique, nous avons restructuré nos initiatives en cours afin de les poursuivre sous forme d’entreprise sociale, avec succès.

Quels résultats avez-vous obtenus?

Notre entreprise sociale a été une réussite non seulement pour stabiliser nos ressources, mais aussi pour renforcer nos relations avec les communautés pour lesquelles nous travaillons. Elle nous a aidées à construire des partenariats et à gagner en visibilité ; et nous a permis d’attirer l’attention des communautés sur la question des DSSR des adolescentes.

Il nous a fallu six mois avant de commencer à gagner de l’argent grâce au soja, et un an pour l’élevage porcin. Depuis, l’entreprise sociale a continué à se développer jusqu’à devenir le pilier de notre stratégie de pérennisation.

Jusqu’en septembre de cette année, nous n’avions pas de personnel salarié pour l’entreprise sociale. Nous avons maintenant une personne embauchée pour la superviser, secondée par trois personnes chargées de nourrir et soigner les cochons, de les abattre, de conditionner la viande et d’effectuer la livraison. Ces trois personnes ne sont pas salariées mais reçoivent une indemnité (pas d’impôts ni de retraite).

Qu’avez-vous appris de cette expérience?

Pour générer des revenus au profit d’une organisation, l’entreprise sociale est une bonne solution : elle peut rapidement devenir suffisamment rentable pour faire face aux nouveaux besoins qu’il est difficile de couvrir par des subventions ou des sources de financement limitées. Une entreprise sociale bien planifiée, au moment opportun et avec des compétences adaptées, offrira aussi une expérience gratifiante à votre organisation.

L’entreprise sociale a bien coïncidé avec notre travail sur les DSSR des adolescentes car elle a renforcé nos liens avec la communauté grâce à son aspect financier, qui a un effet d’attraction sur les femmes et la population. Cela nous a facilité la tâche pour communiquer nos messages sur les mariages d’enfants, précoces ou forcés. Pour moi, c’est une stratégie de mobilisation et de communication au même titre que le théâtre ou le sport, que certain·e·s utilisent pour faire passer leurs messages sur les DSSR. Dès qu’il est question d’argent, tout le monde prête l’oreille, et c’est le meilleur moment pour faire mouche.

Pour participer aux activités de notre entreprise sociale, il faut être engagé·e dans la défense des droits des adolescentes. Par exemple, les bénéficiaires de notre entreprise sont essentiellement des femmes qui s’occupent d’adolescentes ou de filles mariées. L’idée est que les revenus qu’elles en tirent leur permettront de mieux prendre en charge l’éducation de leurs filles. Leur implication nous permet aussi de continuer à suivre les filles qui ont bénéficié de nos interventions de prévention des mariages d’enfants, précoces ou forcés.

Gérer une entreprise sociale, c’est comme gérer un programme à part entière. Il faut lui consacrer des ressources spécifiques, pour l’administration, le suivi et l’évaluation. Il faut également des compétences précises dans le domaine choisi, comme l’agriculture. Cela peut demander du temps, du travail et un investissement. C’est pourquoi vous augmenterez vos chances de succès en réunissant les compétences et l’expérience que vous avez déjà pour créer votre entreprise dans un domaine que vous connaissez bien, comme nous l’avons fait avec l’agriculture.

Par ailleurs, si elle n’a pas été bien planifiée ou si elle manque de ressources, l’entreprise sociale risque d’interférer avec les activités centrales de votre organisation et de surcharger vos collaborateur·rice·s, qui peuvent avoir du mal à trouver un équilibre entre leurs responsabilités de base et les besoins de l’entreprise sociale. En ce qui nous concerne, nous avons résolu ce problème en engageant du personnel spécialement dédié à l’entreprise sociale, pour la développer et la gérer. Cela a un coût, mais c’est la meilleure solution une fois que vous générez suffisamment de revenus pour couvrir vos frais de personnel.

Le fait de vous fixer des objectifs de résultat pour votre entreprise sociale vous aidera à rester motivé·e·s et à ne pas dévier de votre but.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire ? / qui voudrait faire comme vous?

  • Il n’y a pas d’approche gagnante à tous les coups en matière d’entreprise sociale. La clé du succès est de bien comprendre votre contexte.
  • Une entreprise sociale nécessite beaucoup d’investissement personnel, et, parfois, une expertise spécialisée. Vous devrez puiser dans votre temps et dans vos ressources pour acquérir ces compétences, ou pour vous les procurer en externe. Par exemple, les compétences de relation client, d’entreprenariat et de développement commercial ne sont pas toujours courantes dans des organisations orientées vers la mise en œuvre de projets à but non lucratif.

Voudriez-vous ajouter quelque-chose sur les défis qu’a rencontrés votre organisation?

Maintenant que l’entreprise sociale se développe, nous envisageons d’en faire une entité distincte qui servirait de source de financement à l’organisation. D’une certaine façon, cela reviendrait à une scission d’avec TAWINA, pour permettre à l’entreprise de faire évoluer séparément ses choix de gestion. Nous sommes toujours entrain d’apprendre, mais cela nous semble un plan intéressant. Ainsi, nous pourrions nous concentrer sur la mission centrale de l’organisation, sans nous sentir partagées entre deux causes, dont l’une à but lucratif.

Bien que nous soyons reconnues comme des défenseures des droits des filles, certaines personnes nous voient sous l’angle d’une entreprise agricole. Cela peut être source de conflit.

Avez-vous utilisé des ressources externes pour vous aider à surmonter ces difficultés, que vous recommanderiez à d’autres organisations? 

Philanthropy university (https://courses.philanthropyu.org/)

Tawina Jane Kopa-Kamanga, TAWINA, Malawi

Tawina Jane Kopa Kamanga est la fondatrice et directrice de TAWINA, une organisation de terrain créée par et pour les femmes, au Malawi. Créée en 2014, TAWINA propose des solutions innovantes et personnalisées pour venir en aide aux victimes de violences sexuelles et basées sur le genre, y compris les mariages d’enfants et les mariages précoces ou forcés. Depuis quatre ans, Tawina Jane pilote une stratégie de levée de fonds qui l’a conduite à développer une entreprise sociale, destinée à promouvoir l’émancipation économique des femmes tout en générant des revenus durables et non limités pour TAWINA.

www.tawina.org