Comment identifier et influencer les allié·e·s potentiel·le·s de votre mouvement

Écrit par Dr. Aflodis Kagaba, Health Development Initiative-Rwanda (HDI)

Pouvez-vous décrire une situation dans laquelle votre organisation ou votre projet a eu des difficultés à trouver des allié·e·s pour votre mouvement ?

Lorsque nous plaidions pour la suppression des obstacles juridiques à l’avortement sécurisé, nous avons eu les plus grandes peines à obtenir le soutien d’organisations dirigées par des femmes et d’autres OSC intéressées par les DSSR. Un grand nombre de personnes au Rwanda considère l’avortement comme un pêché. De nombreux groupes religieux, ainsi que les médias, se sont montrés très critiques vis-à-vis de notre action. Nous avons organisé un grand nombre de réunions de sensibilisation pour chercher à gagner leur adhésion, mais les progrès restaient très lents. Certaines organisations refusaient même de venir aux réunions destinées à trouver un consensus sur l’exposé de position. 

Comment avez-vous abordé ce problème et qu’avez-vous changé ?

La décision a été prise de présenter l’enjeu de l’avortement sécurisé comme un droit sexuel et reproductif. Nous avons publié une note politique intitulée Préserver les droits et la santé sexuels et reproductifs des femmes et des filles par l’amendement du Code Pénal. L’objectif était de réunir des données probantes pour informer les décideur·euse·s et les autres parties prenantes sur notre position.

Nous avons cartographié les personnes clé des institutions publiques et des OSC capables d’influer sur le processus de révision du Code Pénal. HDI s’est aperçu que les partis politiques avaient une influence sur les parlementaires susceptibles de soutenir la loi. Nous avons alors approché les personnalités influentes au sein des partis pour les sensibiliser et leur expliquer plus en détails ce qui motivait notre position. Nous avons également identifié les OSC susceptibles d’être favorables à l’avortement sécurisé, et avons pris contact avec des organisations de la jeunesse et des représentant·e·s stratégiques des médias, ainsi que des activistes individuel·le·s. Nous avons organisé une série de réunions formelles et informelles pour informer autour de cet enjeu et avons construit une coalition de soutien à la révision du Code Pénal dans le but de donner accès à l’avortement sécurisé à toutes les femmes et filles qui en ont besoin.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

La nouvelle loi révisée a permis de décriminaliser les femmes et les filles qui choisissent d’avorter suite à un viol, un inceste, un mariage forcé ou un abus déshonorant.

Notre travail a également contribué à informer le grand public sur l’avortement sécurisé au Rwanda. Auparavant, c’était un sujet tabou qui ne figurait virtuellement pas dans le débat public : nos efforts de plaidoyer ont permis d’amener le sujet sur le devant de la scène. La question est désormais discutée à la radio, entre organisations de la société civile et parmi les organisations professionnelles. Nous avons bon espoir que cela débouche sur la mise en place de programmes adaptés aux jeunes, qui réduiront le nombre de femmes mourant des suites d’un avortement à risques.

Que retenez-vous de cette expérience ?

Nous avons appris qu’avec des preuves et un engagement réitéré auprès de la société civile et du gouvernement, le changement est possible. Ainsi, le premier jour où nous avons approché la commission chargée de la révision du Code Pénal, ses membres nous ont accueilli·e·s à contrecœur et n’ont pas manifesté d’intérêt pour nos contributions, en partie parce qu’ils/elles nous voyaient comme le cheval de Troie d’un agenda occidental. Malgré cela, nous avons persévéré en participant et contribuant régulièrement aux sessions de la commission. Cet engagement actif nous a permis d’établir la confiance et de construire une relation de travail. Au fil du temps, le Parlement est apparu de plus en plus demandeur de notre éclairage.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire ?

  • Assurez-vous que tou·te·s vos allié·e·s connaissent vos thèmes de plaidoyer. S’ils/elles n’en n’ont pas conscience, il est possible qu’ils/elles prennent une position opposée.
  • Ne renoncez jamais à un·e allié·e parce que vous n’avez pas le même point de vue sur une question donnée. Continuez plutôt à travailler ensemble sur les enjeux d’intérêt commun, dès lors que cela ne compromet pas le reste de votre travail.
  • Approchez activement et stratégiquement les opposant·e·s potentiel·le·s dans l’optique de prévenir les conflits évitables.
  • Pensez toujours à identifier les personnes influentes au sein des partis politiques. S’ils/elles comprennent votre cause, ils et elles peuvent en faire un mot d’ordre politique !

Dr. Aflodis Kagaba, Health Development Initiative-Rwanda (HDI)

Le Dr. Aflodis Kagaba est un médecin et militant pour les droits humains, avec à son actif plus de quinze ans d’exercice dans le secteur non lucratif. Il est actuellement Directeur Exécutif de Health Development Initiative-Rwanda (HDI / « Initiative Santé-Développement Rwanda »), une organisation qu’il a co-fondée en 2005 et qui milite pour l’accès à la santé des communautés vulnérables et marginalisées. A travers HDI, le Dr. Kagaba a le privilège d’être le fer de lance de la revendication des droits sexuels et reproductifs au Rwanda. Il a contribué à l’élaboration de différentes politiques sanitaires nationales et a mené avec succès le plaidoyer pour faire progresser la reconnaissance des droits humains et du droit à la santé pour les personnes vivant avec le VIH/Sida, les femmes, les jeunes et certaines populations ciblées.

www.hdirwanda.org