Comment entretenir la couverture médiatique des enjeux de DSSR

Écrit par Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi

A quelles campagnes et actions de plaidoyer votre organisation participe-t-elle?

Notre organisation, Centre for Solutions Journalism (CSJ), est une organisation de promotion des droits humains issue du secteur médiatique, qui milite pour une réforme de la loi sur l’avortement au Malawi. Nos stratégies s’appuient sur le plaidoyer médiatique et l’approche des parties prenantes clés. Sous le volet du plaidoyer médiatique, nous formons des journalistes à traiter des questions de DSSR. Depuis Septembre 2017, nous tenons une chronique hebdomadaire intitulée Santé Sexuelle et Reproductive, publiée dans le Daily Times [du Malawi]. A ce jour, nous avons publié plus de 100 articles sur les DSSR. Depuis Février 2019, nous animons également un programme télévisé bimensuel intitulé Choix et Liberté.

Quelles difficultés votre organisation a-t-elle rencontré en matière de couverture médiatique?

La problématique majeure pour nous consiste à entretenir la couverture médiatique des DSSR. Nous y avons été confrontés à partir de Mars 2018, six mois après le lancement de notre chronique dans la presse. C’est un véritable défi que d’offrir chaque semaine du contenu nouveau, intéressant et saillant, capable d’alimenter l’intérêt des médias pour cet enjeu. Le problème s’est posé alors que notre organisation planifiait un plaidoyer médiatique pour amplifier le soutien à la réforme de la loi sur l’avortement. Nous nous sommes posé plusieurs questions : comment travailler avec les médias ? Comment produire du contenu bien calibré, qui entretienne l’intérêt du public sur toute la durée du processus de réforme législative ?

Comment avez-vous résolu ce problème?

La solution au problème est venue des bonnes relations que nous avons entretenues avec les organes de presse, et d’une planification rigoureuse. Lors de la phase de planification, nous nous sommes rendu compte que nous étions en mesure de couvrir le sujet de l’avortement selon des optiques différentes. Parmi les angles possibles, il y a eu le témoignage des femmes ayant survécu à un avortement à risques, la mise en évidence de l’ampleur du phénomène ou de son coût, mais aussi le lien entre culture et avortement, l’évolution de la position des acteurs religieux, la perspective des droits humains et celle de la santé publique, en s’interrogeant sur les liens entre pénurie de contraceptifs et avortements. Cette liste peut s’étendre indéfiniment. Notre réflexion face à ce problème nous a aussi amené à former nos auteur·rice·s pour améliorer leur écriture journalistique. L’un des talents que nous avons cherché à développer est la capacité à insérer des messages clés dans les articles. Il nous a fallu pour cela plancher sur la meilleure formulation des messages que nous souhaitions faire passer. Nous avons également dû apprendre à gérer les incohérences statistiques dans les données sur l’avortement et sur la santé maternelle. Pour cela, nous avons conseillé à tou·te·s nos auteur·rice·s d’utiliser comme source les recherches publiées par l’Université du Malawi et Guttmacher Institute. Pour les données internationales, nous leur avons recommandé de se baser sur les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Quels résultats avez-vous obtenus en suivant votre plan?

A travers les médias (et par d’autres canaux), nous avons mis en place un plaidoyer suivi pour une réforme de la loi sur l’avortement au Malawi. Ceci, combiné aux efforts d’autres partisans de la réforme, a convaincu le Gouvernement de préparer une Loi sur l’Interruption de Grossesse. Nous militons maintenant pour l’adoption de cette loi.

Que vous a appris cette expérience?

Dans une société conservatrice comme celle du Malawi où l’opposition à l’avortement est encore bien implantée, il est essentiel d’élaborer une approche par étapes. La compréhension du phénomène, et par suite le soutien à la réforme, se construit peu à peu.

Dans notre stratégie de couverture médiatique, nous avons abordé la problématique étape par étape en commençant par la faible prévalence de l’abstinence, qui aboutit à des grossesses chez des adolescentes, les difficultés des jeunes à se procurer des préservatifs à cause des politiques gouvernementales (qui interdisent les préservatifs dans les établissements scolaires) et la pénurie de moyens de contraception dans les zones rurales. Nous avons ensuite traité du problème des grossesses non désirées au Malawi et la probabilité qu’elles se soldent par un avortement à risques ; après quoi nous sommes passés au cadre juridique et à l’incapacité des lois restrictives à empêcher les avortements. Après ce cheminement, nous avons proposé une couverture médiatique des soins post-avortement et avons même lancé la thématique Religion et Avortement. Cette approche graduelle a bien fonctionné pour nous.

Quels conseils donneriez-vous à une organisation qui serait dans une situation similaire?

1. Equipez-vous d’une stratégie ou d’un plan:

  • Il est crucial de préparer une stratégie ou un plan pour organiser votre travail auprès des médias.
  • Cela vous amènera entre autres à répondre aux questions suivantes :
    • Qui se chargera d’écrire les articles ou produire les contenus au sein de votre organisation ?
    • Pouvez-vous le faire seule ?
    • Avez-vous besoin d’embaucher quelqu’un qui rédigerait les articles en votre nom ?
    • Pensez-vous pouvoir compter sur les journalistes des grands médias pour couvrir l’enjeu, après les avoir sensibilisé·e·s lors de conférences de presse ou grâce à vos communiqués ?
    • Pouvez-vous utiliser des espaces disponibles chez des organes de presse existants, ou comptez-vous acheter un espace de publication ?
    • Comptez-vous utiliser les réseaux sociaux pour diffuser vos activités ? Ou une combinaison de plusieurs stratégies ?

2. Contenu d’un plan:

  • Contenu de la campagne médiatique.
  • Dossiers de presse ou d’information.
  • Si vous êtes une ONG du secteur des médias, la formation de celles et ceux qui produiront votre contenu ne doit pas être négligée.
  • En élaborant votre planning, pensez aux délais butoir des médias. Par exemple, si vous voulez qu’un article soit publié le 28 Septembre, pour la Journée Internationale de l’Avortement Sécurisé, soumettez-le le 26 ou 27 Septembre. Certains organes de presse peuvent même vous demander de leur transmettre votre contenu une semaine, voire un mois avant sa date de publication ou diffusion.

3. Entretenez le relationnel:

  • Vos bonnes relations avec les organes de presse seront un atout précieux. Vous devrez connaître les principaux acteurs éditoriaux, dont :
    • L’éditeur·rice
    • Le producteur/la productrice pour des émissions radio et télévisées
    • Les reporters et journalistes qui traitent le sujet qui vous intéresse.

Si vous travaillez sur des questions liées au genre et aux DSSR, entrez en contact avec des journalistes couvrant les enjeux de santé et de droits humains.

4. Ignorez les incidents de parcours:

  • Si vous travaillez avec les médias, il arrivera que certaine·s journalistes, bien qu’ayant reçu des informations que vous estimez exploitables lors de l’un de vos évènements ou conférences de presse, décident malgré tout de ne rien publier. Ne le prenez pas personnellement.
  • Comptez comme un succès le fait que ces journalistes aient obtenu des informations exactes qu’ils/elles pourront utiliser le moment venu. Si certain·e·s ont publié ou diffusé des articles ou témoignages suite à votre évènement ou votre communiqué, écrivez-leur, appelez-les ou envoyez-leur un message par WhatsApp pour les remercier pour leur soutien.
  • Dans certaines régions du monde, où il est habituel que des organisations offrent aux journalistes des per diems sous forme de transport ou de repas, sachez que les professionnel·le·s des médias ne considèrent pas que ces dédommagements entraînent l’obligation d’écrire un article. Seul l’intérêt du contenu à leurs yeux pourra les déterminer à diffuser ou publier.

5. Communiqués de presse:

  • Lorsque cela est possible, rédigez un communiqué que vous enverrez aux organes de presse.
  • Un communiqué doit être écrit selon la technique de la pyramide. Les informations clés doivent apparaître en haut, et les détails en-dessous. La plupart des journalistes suivent également ce format dans la rédaction de leurs articles.
  • Le premier paragraphe de votre communiqué doit être bref et répondre synthétiquement aux questions essentielles : Quoi ? Quand ? Pourquoi ? Comment ?
  • Envoyez votre communiqué par le biais d’un email séparé pour chaque organe de presse / journaliste, plutôt que de rédiger un seul mail envoyé à 12 adresses : le/la journaliste est bien plus susceptible de publier votre contenu s’il ou elle se sent personnellement contacté·e que s’il pense avoir reçu un mailing
  • SI vous organisez une conférence de presse, ne prévoyez pas plus de trois orateur·rice·s. Cela limite les risques de conflits ou discordances entre représentants et la surabondance des messages. Les personnes choisies pour prendre la parole doivent maîtriser parfaitement le sujet.

6. Soyez ouvert·e aux retours que peut vous faire votre public, et servez-vous en pour améliorer votre plaidoyer.

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Brian Ligomeka, Centre for Solutions Journalism, Malawi

Brian Ligomeka, expert en communication et activiste pour les droits et la santé sexuels et reproductifs, est actuellement Conseiller en programmation pour Centre for Solutions Journalism (CSJ).

Brian a piloté la mise en œuvre de projets plaidant pour la décriminalisation de l’avortement et la promotion des droits des minorités sexuelles au Malawi. Il s’est trouvé à de nombreuses reprises face à un public hostile lors de débats sur des sujets « tabous ».

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