Comment développer son plaidoyer juridique pendant la période du COVID-19

Écrit par Debashish Mohanta, Directeur National de Human Rights Law Network (HRLN), Inde

Ce guide a été rédigé en 2020 en réponse à la pandémie de COVID-19.

Certaines des informations ne seront pas aussi pertinentes pour la situation actuelle, mais nous pensons que ce guide offre des conseils utiles aux défenseur·euse·s des DSSR.

Pouvez-vous décrire dans quel contexte de travail vous avez développé ces compétences ?

L’apparition de l’épidémie du COVID-19 a entraîné la fermeture des tribunaux, et nous avons également dû annuler un certain nombre de consultations et rendez-vous planifiés au cours de cette période. Or les droits humains sont rapidement apparus comme une préoccupation de premier plan, avec des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’ayant pas accès aux aides alimentaires, des femmes et des mères allaitantes coupées de leurs dispositifs habituels de santé reproductive, et des travailleur·euse·s migrant·e·s vivant dans des conditions dramatiques. De très nombreuses violations des droits humains ont été recensées.

Qu’avez-vous appris sur les défis qui attendent les activistes dans une telle situation ?

Les quelques tribunaux encore en fonctionnement ne traitaient que les « affaires urgentes », mais toutes nos procédures sont importantes, et les droits humains sont toujours essentiels.

Dans un premier temps, les avocat·e·s ont eu de grandes difficultés à saisir les tribunaux, étant eux/elles-mêmes confiné·e·s. Parallèlement, les signalements de violations des droits humains, par exemple des détentions arbitraires, se sont multipliés, tandis que les programmes au bénéfice des femmes enceintes, des mères allaitantes et des nourrissons étaient interrompus. Les personnes transgenres et non cisnormées se sont trouvées d’autant plus exposées aux violences domestiques qu’elles ne pouvaient pas s’éloigner de leur domicile. Les personnes transgenres n’ont pas eu accès aux aides alimentaires. Nombre d’entre elles, qui vivaient de la mendicité ou des métiers du sexe, ont perdu toute source de revenus.

Comment avez-vous abordé ces défis – et avec quels résultats ?

HRLN agit par le biais du système judiciaire pour faire progresser les droits humains et assurer l’accès universel à la justice. Nous travaillons avec des organisations non gouvernementales (ONG) et des individus dans 24 Etats d’Inde.

Lorsque la crise a éclaté, nous avons décidé d’utiliser nos compétences et notre vaste couverture pour poursuivre notre travail en faveur des droits humains en priorisant les cas liés au contexte du COVID-19, et de mettre à profit notre réseau pour apporter une aide matérielle aux groupes vulnérables.

Au niveau international, nous nous sommes rallié·e·s à la Déclaration de l’Initiative SARJAI (South Asia Reproductive Justice and Accountability Initiative, [Initiative pour la Justice Reproductive et la Responsabilité en Asie du Sud]), qui demande aux gouvernements de s’engager pour préserver l’accès aux services essentiels de santé reproductive.

En Inde, nous avons adapté notre mode de fonctionnement au confinement en nous tournant vers les nouvelles technologies, telles que les réunions virtuelles sur Zoom. Dès la mise en place d’un système de saisine en ligne des tribunaux, nous avons introduit des affaires liées aux aspects des droits humains affectés par le COVID-19, tout d’abord dans l’optique de l’aide aux personnes détenues puis aux travailleur·euse·s migrant·e·s, tout en nous mobilisant autour d’autres urgences dont l’assistance aux personnes transgenres dans les différents Etats (plus de détails dans le document indiqué ci-dessous). Malheureusement, les tribunaux n’acceptant d’enregistrer que les affaires urgentes, très peu d’affaires ont pu être enrôlées ; quant aux hautes juridictions, la plupart avaient totalement cessé leurs activités.

Nous avons également vu les besoins immédiats d’aide directe des populations vulnérables. Grâce à nos réseaux et partenariats, nos avocat·e·s et activistes ont organisé l’approvisionnement et la distribution de rations alimentaires non périssables, céréales, masques et gels désinfectants, et parfois même fourni des plats prêts à consommer aux personnes en détresse. Nous avons ciblé notre action sur l’assistance aux populations marginalisées, dont les personnes vivant avec le VIH, les personnes transgenres, les habitant·e·s des bidonvilles, les travailleur·euse·s migrant·e·s et d’autres.

Quelles ont été les leçons de cette expérience pour vos activistes ?

Nos activistes sont allé·e·s au-delà de leur champs d’activité traditionnel, qui consiste à rechercher des données factuelles et saisir les juridictions : dans ces circonstances, ils et elles ont été amené·e·s à nouer des contacts avec des activistes et avocat·e·s locales·aux, bien placé·e·s pour prêter assistance et vérifier les informations. 

Les technologies numériques se sont imposées comme un outil incontournable pour constituer des requêtes, tout comme pour formaliser et exprimer les préoccupations des groupes marginalisés.

Le basculement d’une activité d’accompagnement juridique vers la distribution de rations alimentaires a été une source d’enseignements étonnante, en amenant nos équipes au chevet des personnes pauvres et vulnérables. Cela s’est révélé une opportunité inestimable de s’imprégner des réalités du terrain, qui nourrit la préparation de dossiers juridiques en défense des droits de ces personnes.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire ?

  • Evaluez avec soin vos programmes, approches et stratégies, et les meilleurs moyens de développer des capacités localement. Le fait d’avoir un bon maillage de militant·e·s sur le terrain dans tout le pays nous a aidé·e·s à couvrir efficacement un vaste secteur.
  • Veillez à ce que vos équipes de front dans les zones isolées soient bien équipées et informées.
  • Développez vos réseaux régionaux, en particulier au sein des communautés marginalisées, pour pouvoir continuer d’atteindre ces communautés lorsque les voyages longue distance sont impossibles.

HRLN s’est rallié à la Déclaration SARJAI sur les services essentiels de santé reproductive en période de COVID-19 :

https://hrln.org/publication/hrln-supports-sarjai-statement-5ebf3ad43ed1a

Debashish Mohanta, Directeur National de Human Rights Law Network (HRLN), Inde

Debashish Mohanta est Directeur National de Human Rights Law Network (HRLN), une organisation basée à New Delhi. Au fil de sa carrière de plus de 40 ans, il s’est forgé une solide expertise de la gestion globale de projets et programmes. A son poste actuel de Directeur, ses principales responsabilités sont : l’administration des projets, la constitution de dossiers de subvention puis leur gestion, le suivi de conformité vis-à-vis des exigences des bailleurs, le suivi et évaluation et la préparation des rapports. Spécialiste de la gestion des catastrophes et de la gouvernance, il a à son actif un diplôme de troisième cycle en sciences sociales.

https://hrln.org/