Comment développer le soutien à votre mouvement même lorsqu’il couvre des enjeux controversés

Écrit par Tom Mulisa, Great Lakes Initiative for Human Rights and Development (GLIHD) [en français Initiative des Grands Lacs pour les Droits Humains et le Développement], Rwanda

Pouvez-vous décrire une situation dans laquelle votre organisation ou votre projet a eu des difficultés à rassembler le soutien escompté parce que vous abordiez des questions controversées?

Nous travaillons sur des sujets souvent perçus comme polémiques, dont le plaidoyer pour l’avortement sécurisé, le soutien aux travailleur·euse·s du sexe et la représentation des minorités sexuelles. Ceci nous a valu l’opposition de l’Eglise, de certains acteur·trice·s de la société civile et d’individus non conscients des conséquences néfastes que peuvent avoir des lois comme celle criminalisant l’avortement.

Comment avez-vous abordé ce problème et qu’avez-vous changé?

Nous avons soumis au Ministère de la Justice un rapport visant à discuter et expliquer pourquoi la décriminalisation devrait figurer dans la Constitution du Rwanda. Dans notre présentation de l’enjeu, nous avons fait valoir qu’il n’a rien à voir avec une quelconque influence occidentale et avons expliqué que des personnes qui n’ont même jamais pris le bus pour une grande ville peuvent être LGBTI. Nous avons préparé des projets de rapports pour la Commission de Genève et la Commission Africaine afin que nos conclusions puissent être discutées par les institutions gouvernementales.

Quels résultats avez-vous obtenus?

Les dispositions du Code Pénal criminalisation les personnes LGBTI ont été supprimées, tout comme celles qui restreignaient l’accès à l’avortement aux femmes bénéficiaires d’une décision de justice. Les travailleuses du sexe ne sont plus sanctionnées pénalement, mais leurs clients peuvent l’être. Le Rwanda a accepté de mettre en œuvre toutes les recommandations du Comité CEDEF et a mis sur pieds une commission chargée de suivre leur application.

Que retenez-vous de cette expérience?

Le dialogue avec le gouvernement est décisif, et suppose d’utiliser un langage que le gouvernement comprenne. En effet, les individus qui le composent sont souvent opposés à certaines revendications par manque de données probantes ou d’une grille de lecture de l’enjeu et ses implications. Par ailleurs, vous multiplierez vos chances de succès en concevant votre campagne sur la base des priorités nationales plutôt que du seul agenda international pour les droits humains.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire?

  • Servez-vous des preuves fournies par la recherche et impliquez les institutions gouvernementales.
  • Apprenez à adapter le langage de votre campagne à l’agenda national.
  • Faites tout ce que vous pouvez pour être convié·e·s autour de la table, puis parlez à celles et ceux qui s’opposent à vous. Que ce soit dans un cadre formel ou informel, il doit y avoir une discussion. Gardez à l’esprit que chacun·e est libre de son opinion, même si elle ne va pas dans votre sens.
  • Evitez les visions binaires entre « eux » et « nous ». Créez un environnement propice à la discussion mutuelle.

Tom Mulisa, Great Lakes Initiative for Human Rights and Development (GLIHD) [en français Initiative des Grands Lacs pour les Droits Humains et le Développement], Rwanda

Tom Mulisa est le Directeur Exécutif de Great Lakes Initiative for Human Rights and Development (GLIHD) [en français Initiative des Grands Lacs pour les Droits Humains et le Développement]. Tom est également maître de conférence à l’Université du Rwanda en Droit International des Droits Humains et en Droits constitutionnel. Durant sa carrière, Tom a été impliqué dans la préparation et la présentation de rapports parallèles (ou “shadow reports”) à des organes sur les droits humains ainsi qu’un activiste pour la décriminalisation des lois affectant les communautés LGBTI, les travailleur·euse·s du sexe et les personnes ayant avorté.