Écrit par Suad Abdi, Activiste SDSR
En Août 2018, une loi contre les violences sexuelles a été adoptée au Somaliland, pour la première fois dans l’histoire du pays. Pendant plus d’une décennie, les Organisations de la Société Civile (OSC) ont travaillé sans relâche autour des questions de violence sexuelle et basée sur le genre (VSBG), et au terme de sept ans de plaidoyer concerté, animé en particulier par le Réseau Nagaad (une ONG de femmes du Somaliland), la Loi du Somaliland sur les Délits à Caractère Sexuel a finalement été adoptée.
Malheureusement, ce succès a été de courte durée. La nouvelle loi, immédiatement attaquée par les sphères religieuses et sans soutien du public, s’est trouvée abrogée au bout d’un mois. Les OSC qui avaient porté le projet de loi ont également été prises pour cible par ses opposants, qui ont tenté de les discréditer. Le coup a été dur pour les OSC, après tous les efforts déployés pour faire aboutir cette loi qui devait améliorer la situation des femmes au Somaliland. A l’heure de la publication de ce Guide – Mars 2020 -, nous ignorons à ce jour si la loi pourrait être re présentée ou non.
Malgré la flambée des VSBG, notamment les viols, au Somaliland, l’enjeu n’y est pas perçu comme prioritaire, ni par le Gouvernement, ni par le grand public. Le peu d’empressement des décisionnaires à rénover un cadre juridique datant de plusieurs siècles, et qui ne reconnaît que trois sources de législations (Charia, droit coutumier et lois écrites) rend très difficile la condamnation des cas de VSBG par le tribunal. Ce système banalise le déni de justice aux victimes survivantes.
En outre, le manque de données viables sur les cas de VSBG et le faible partage d’information entre OSC ont constitué un obstacle majeur empêchant leur voix d’être entendu par les décisionnaires et d’être prises au sérieux.
Un autre problème s’est posé également au niveau du manque d’analyse politico-situationnelle pour mesurer l’ampleur du phénomène, étudier le contexte et identifier les parties prenantes, surtout celles engagées dans la lutte contre les VSBG d’où le fait que certains acteurs n’avaient pas été impliqués. En effet, les OSC n’avaient pas mené une analyse approfondie avant le lancement de l’initiative.
Nous n’avons pas pu résoudre tous des problèmes. Toutefois, une plateforme commune reliant le Gouvernement aux OSC engagées pour mettre un terme aux VSBG, a été établie. Sous la tutelle du Ministère de l’Emploi et des Affaires Sociales (MESAF), cette plateforme était destinée à faciliter l’échange, la discussion et le partage d’information entre les différents acteurs, et dans une certaine mesure sa création a permis de mieux comprendre l’impact des VSBG et l’importance de la question.
Un groupe de travail, formé des membres des OSC et des parlementaires, a été établi pour discuter de la possibilité de développer une nouvelle loi en réponse aux VSBG. Au bout des délibérations, il était convenu de préparer un projet de Loi sur les Délits à Caractère Sexuel, dont le réseau Nagaad en a dirigé le processus de rédaction. Il aura fallu sept ans pour parvenir à une proposition de loi, qui fut débattue au Parlement et finalement adoptée en 2018. Malheureusement, comme expliqué plus haut, cette loi a été abrogée peu après son adoption.
Malgré ce revers, les efforts des OSC pour combler le vide juridique relatif aux VSBG ont été considérés par beaucoup comme un développement important, du fait qu’ils avaient permis de donner davantage de visibilité à la question des VSBG.
Avant de s’engager dans une initiative de changement des politiques, les OSC devraient réaliser une analyse politico-situationnelle approfondie pour évaluer l’ampleur du problème, étudier le contexte et identifier les parties prenantes. Il est également essentiel d’impliquer toutes les parties prenantes dans le processus dès le début et fondamentalement de développer et mettre en place des stratégies et des plans de plaidoyer bien définis.
Les politiques actuelles du Somaliland en matière de VSBG sont conçues et imposées de façon très verticale, avec peu ou pas de consultations auprès des communautés locales : ceci devra changer pour assurer le succès des prochaines initiatives. Les OSC ont un rôle important à jouer pour catalyser l’implication des communautés.
Dans tout plaidoyer visant à faire évoluer les politiques, la détermination et l’engagement des acteurs sont décisifs – en particulier pour les OSC qui travaillent à promouvoir les droits humains. Or les OSC développent souvent une approche axée sur la notion de projet, qui peut être décrémentale à la pérennité du plaidoyer – lorsqu’un tel projet est terminé, les efforts de plaidoyer s’arrêtent également, alors que le changement des lois et politiques nécessite des efforts perpétuels et soutenus à long terme.
Les rivalités et intérêts concurrents des parties prenantes représentent une barrière supplémentaire. Il est difficile d’instaurer un climat d’entente et de confiance mutuelles entre les OSC, ou davantage de développer une coordination solide sur la base des efforts collectifs. Tant que les organisations locales aussi bien qu’internationales (et les institutions gouvernementales) se font concurrence pour s’attribuer les mérites de l’adoption d’une nouvelle loi. Ce type d’attitude peut amener les décideurs politiques à mettre en doute l’engagement local des OSC, et à les critiquer pour leur opportunisme et leur approche par projet.
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Suad Abdi est une actrice de terrain du développement, forte de plus de 24 ans d’expérience : ses domaines de prédilection sont le renforcement de capacités de la société civile, le plaidoyer pour les droits des femmes, notamment sous l’angle de leur pouvoir décisionnaire, et les violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG). Dès le début de sa carrière auprès d’organisations pour les droits des femmes, Suad a eu pour mission d’analyser les bonnes et mauvaises pratiques de plaidoyer pour la prévention des violences basées sur le genre (VBG) au Somaliland. Elle a également lancé la programmation de soutien juridique aux victimes et survivantes de VSBG.
Suad est une chercheuse confirmée avec, à son actif, plusieurs travaux publiés sur le genre, les VSBG, la décentralisation et les acteurs non étatiques au Somaliland.