Comment continuer avec son plaidoyer durant la période électorale

Écrit par Sunungurai Dominica Chingarande, Activiste SDSR

Pouvez-vous décrire le contexte duquel votre projet de recherche a tiré son expérience du plaidoyer durant la période électorale?

Avant novembre 2017, le plaidoyer pour l’avortement sécurisé au Zimbabwe était un exercice délicat, avec des marges de manœuvre limitées, en face d’une société intrinsèquement conservatrice et religieuse et d’une stigmatisation profonde autour de cette question.  La plupart des gens étaient convaincus que l’avortement était illégal, alors qu’en réalité il est légal, quand il s’inscrit dans des circonstances et cas spécifiés par la Loi sur l’Interruption de Grossesse : comme le viol, l’inceste, ou dans le cas où il y’a risque sur la vie de la mère ou de l’enfant. Ces restrictions, auxquelles s’ajoutaient d’inévitables complications administratives entravant l’accès à un avortement sécurisé, sont responsables d’une multitude d’avortements à risques dans le pays. Pour faire évoluer la situation, un grand nombre d’organisations diverses de la société civile (OSC) se sont emparées de la question de l’avortement sécurisé au Zimbabwe, et de nombreuses coalitions ont vu le jour.

Qu’avez-vous appris sur les défis auxquels les militant·e·s se trouvent confronté·e·s dans cette situation?

Les défis ne manquent pas dans une telle situation. L’élection était inattendue (elle a fait suite au départ inopiné de Mugabe) ; et faute d’une coopération suffisante ainsi que par manque de cohérence dans les messages utilisés, les OSC n’étaient pas prêtes à saisir les opportunités stratégiques qui se sont présentées. Elles ont laissé échapper des occasions uniques d’influencer les décideurs politiques, qui faute de recevoir des demandes bien formulées et claires, ont manqué de se saisir des arguments et priorités du mouvement de plaidoyer pour l’avortement sécurisé. Par ailleurs, de nombreu·se·s parlementaires progressistes ont perdu leurs sièges lors de cette élection, et les OSC, qui avaient tissé des liens uniquement avec les représentants politiques, ont dû s’atteler encore une fois à forger de nouvelles alliances impliquant cette fois-ci les hauts fonctionnaires et les techniciens supérieurs au sein des Ministères.

Comment avez-vous abordé ces défis et avec quels résultats?

Au cours de la période électorale, nous n’avons pas eu suffisamment du temps pour gérer efficacement ces difficultés. Mais après cette élection, les OSC se sont penchées sur les causes de l’échec de leur plaidoyer électoral à la suite de quoi, elles ont décidé d’entrer en contact directement avec le Président élu pour lui présenter les propos et objectifs de leur plaidoyer et garantir son support en respect de ses engagements électoraux – avec une réaction positive de la part du Président. Les OSC ont également visé les nouveaux·elles parlementaires, les membres clé des comités parlementaires et les hauts fonctionnaires ministérielles, avec lesquels elles ont rapidement établi des relations de travail pour rattraper le temps perdu.

Quelles leçons les activistes ont-ils/elles retenu de cette expérience?

  • Il est vital d’être préparé.e et d’avoir une stratégie consensuelle au sein du mouvement avant la période électorale – il n’y aura plus du temps pour le faire une fois l’élection annoncée.
  • Le calendrier est décisif – des évènements déterminants pour le plaidoyer ont été retardés en attendant à ce que la campagne soit trop avancée, mais ont raté de produire l’effet escompté.
  • Les activistes ont constaté l’importance particulière, en période électorale, d’utiliser des messages de plaidoyer forts, clairs et cohérents, qui soient repris par l’ensemble du mouvement. Les élections offrent de précieuses opportunités d’influencer les décisions, et il est infortuné de les laisser échapper à cause de messages décousus ou des demandes non-articulées au bon moment.
  • Ils et elles ont également appris que les contacts établis directement avec les hauts fonctionnaires des Ministères peuvent garantir une certaine continuité – les parlementaires risquent de perdre leur siège après une élection, mais les fonctionnaires gardent leurs postes.

 Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui serait dans une situation similaire?

  1. Soyez toujours prêt·e·s pour une élection – une élection anticipée peut être appelée à tout moment et vous risquez de laisser filer des opportunités par manque de préparation.
  2. Le calendrier est vital – ne repoussez pas vos grandes actions de plaidoyer aux dernières phases de votre campagne, organisez-les relativement tôt pour maximiser leur impact et maintenir les contacts noués.
  3. Les demandes de votre plaidoyer doivent être claires et adressées à haut niveau – une élection peut rendre les hommes et femmes politiques plus accessibles aux OSC du fait qu’ils/elles cherchent à optimiser le soutien public en leur faveur. MAIS les messages utilisés doivent être simples et résonants pour amplifier leur
  4. Maintenez de bons rapports avec les administrateurs et fonctionnaires ministériaux – ce sera un gage de continuité si les élu·e·s qui vous soutiennent perdent leur siège lors de l’élection.

Autres ressources

  • Tous les Guides Pratiques de la section Création d’un mouvement
  • Comment travailler avec les chefs coutumiers pour influencer l’agenda politique
  • Comment utiliser les médias pour changer les lois et politiques
  • Comment garantir la continuité du plaidoyer au-delà des changements institutionnels?
  • Différents Guides Pratiques expliquant Transformer les Normes Sociales

Sunungurai Dominica Chingarande, Activiste SDSR

Sunungurai Dominica Chingarande, professeure de sociologie et chercheuse très active autour des enjeux du genre et des questions d’émancipation et droits des femmes, dont les droits et la santé sexuels et reproductifs. Elle est l’autrice de plusieurs publications dont un chapitre sur le mouvement féministe et les luttes pour la terre au Zimbabwe, qui retrace l’émergence d’un mouvement mené par des femmes autour des questions foncières dans le pays. Elle a également rédigé un manuel de formation sur les corrélations entre culture, genre, droits des femmes et VIH/Sida, qui s’intéresse au développement du plaidoyer dans des contextes culturels hautement sensibles.

Site Web de l’Université du Zimbabwe